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L’Isle-aux-Coudres, fragments d’histoire
L’Isle-aux-Coudres est située dans le fleuve Saint-Laurent en aval de Québec au large de Baie-Saint-Paul. Longue d’une dizaine de kilomètres, elle est reliée par traversier à Saint-Joseph-de-la-Rive. Autrefois vouée à la pêche, l’île vit aujourd’hui de la culture de la pomme, de la fraise et de la patate ainsi que du tourisme en saison estivale.
Elle fut baptisée par Jacques Cartier lors de son deuxième voyage en 1535 en raison des nombreux arbustes qu’il y trouve et qui ressemblent à des coudriers.
Les récits de Jacques Cartier
« Le sixième jour dudit mois, avec bon vent, nous nous dirigeâmes environ quinze lieues en amont du fleuve, et allâmes dans une île, qui est près de la terre du nord, et qui fait une petite baie et anse de terre, dans laquelle il y a un nombre inestimable de grandes tortues, qui sont aux environs de cette île. Pareillement, par ceux du pays se fait aux environs de ladite île grande pêche desdits adhothuys (béluga) ci-dessus décrits.
Il y a aussi grand courant autour de ladite île, que devant Bordeaux au flux et au reflux. Cette île mesure environ trois lieues de long et deux de large, et c’est une terre fort bonne et grasse, pleine de beaux et grands arbres de plusieurs sortes. Et entre autres, il y a plusieurs coudres sauvages, que nous trouvâmes tout chargés de noisettes, aussi grosses et de meilleures saveurs que les nôtres, mais un peu plus dure; et pour cela, nous la nommâmes l’île aux Coudres. » (Jacques Cartier, 6 septembre 1535)
C’est en ces termes que, lors de son deuxième voyage au Canada, Cartier relate la découverte de cette île située près de la côte de Charlevoix. Il y fait célébrer la première messe en terre canadienne et en profite pour faire reposer l’équipage quelques heures avant de poursuivre plus en amont du fleuve vers ce qui deviendra un jour la ville de Québec. De par sa géographie, l’île deviendra un lieu idéal pour un arrêt des navires en provenance de France.
« Au centre-nord de l’île, le mouillage est large et profond; il offre une excellente protection contre le vent dominant, le vent d’ouest, et contre le vent d’est, porteur des tempêtes de l’Atlantique. Les battures ne représentent pas d’obstacles et la marée est d’une assez grande ampleur : on peut donc mettre les bateaux à sec pour effectuer, à l’étal, quelques réparations mineures. » (Croteau, p. 97)
En mai 1536, Cartier y revient et note la présence de nombreuses tortues ainsi qu’un grand nombre de cétacés blancs, le béluga, qu’il voit pour la première fois. « Vous trouverez jusqu’au dit Canada force baleines, marsouins, chevaux de mer, adhothuys (béluga) qui est une sorte de poisson, que nous n’avions jamais vu ni ouï parler.
Ils sont blancs comme neige, et grands comme des marsouins, et ont le corps et la tête comme des lévriers; ils se tiennent entre la mer et l’eau douce, qui commence entre la rivière du Saguenay et le Canada. » (Cartier, p. 223)
Les débuts de l’occupation
Avec la fondation de l’Habitation de Québec par Samuel de Champlain en 1608, l’île reprend du service comme halte, mais ne sera pas occupée par des colons avant la création de la colonie royale par Louis XIV.
En 1677, le gouverneur Frontenac concède l’île à Étienne Lessard qui, après quelques années de durs labeurs sans véritable amélioration de son sort, la revendra aux messieurs du Séminaire des Missions étrangères de Québec. La colonisation ne commencera véritablement qu’en 1728 et progressera très lentement puisqu’au lendemain de la Conquête à peine 213 personnes y vivent. C’est vers la fin du 19e siècle que le peuplement atteint son apogée avec plus de 600 habitants.
La vie des insulaires s’écoule lentement au rythme des saisons avec un souci constant d’autosuffisance.
« Chaque famille possède sa maison et son cheval. On élève assez de moutons pour fournir la laine; on cultive assez de lin pour tisser les vêtements; on récolte assez de fourrage pour faire vivre un petit troupeau. » (p. 103)
En 1763, on y érige sur la rive ouest un premier moulin à vent essentiel pour moudre les grains, puis un second sur la rive sud dix ans plus tard. La pêche dans le fleuve offre du poisson en bonne quantité (harengs, capelans, éperlans et anguille) et la chasse aux loups-marins donne en plus de la viande une huile très utile. Le varech, algue marine qui se dépose sur les rives, sert à nourrir le bétail et est utilisé comme engrais.
La pêche aux marsouins
La pêche aux bélugas (animal proche du dauphin qui vit en Atlantique), aussi appelés marsouins jusque dans les années 1950, était une activité que les insulaires ont pratiqué dès les premières années de la concession. À l’époque de la colonisation, il y avait plusieurs installations de pêche aux marsouins autour de l’île, délimitées par le propriétaire de la seigneurie, le Séminaire de Québec, qui prélevait le tiers de l’huile produite dans les fonderies.
« Les bonnes années, on harponne quelque trois cent vingt bélugas en une seule marée, ce qui rapporte des milliers de louis à l’économie de l’île » (Croteau, p. 113). C’est généralement en avril que se pratiquait cette pêche, ou plus justement chasse, puisque l’animal est harponné après avoir été pris à marée basse dans une sorte d’entonnoir préparé à l’aide de perches plantées sur les battures.
À la fin du 19e siècle, cette chasse va rapidement péricliter, car «… depuis la substitution de l’huile minérale à l’huile de marsouin comme lubrifiant pour les locomotives et autres engins à vapeur, le prix de l’huile de marsouin est tellement tombé, que les associés de la pêche ont perdu l’intérêt qu’ils prenaient dans cette industrie » (Croteau, p. 113).
À la fin des années 1920, la pêche cessera et, devant le déclin rapide de l’espèce qui passe d’environ 15 000 bélugas, à la fin du 19e siècle, à seulement 350 en 1969, elle sera interdite définitivement dans les années 1990.
En 1963, cette pêche aux marsouins a été immortalisée dans un documentaire mémorable de Pierre Perrault et Michel Brault produit par l’ONF et intitulé Pour la suite du monde. Les habitants de L’Isle-aux-Coudres ont, pour l’occasion, repris cette chasse telle qu’elle se pratiquait jusqu’au début du 20e siècle. Le film est considéré comme une œuvre pionnière du cinéma direct.
Les voitures d’eau
Au 19e siècle, le fleuve constitue la principale voie de communication entre les villages sur les deux rives du Saint-Laurent. Cette réalité géographique entraine le développement de la construction navale dans les grandes villes comme Montréal et Québec, mais aussi dans des régions éloignées comme Gaspé ou L’Isle-aux-Coudres.
Si les chantiers navals de Sorel ou Québec construisent des navires de grandes dimensions en acier, la plupart des chantiers échelonnés sur le littoral du Saint-Laurent, comme celui de L’Isle-aux-Coudres, sont de modestes dimensions et produisent des bateaux en bois nécessaires à la navigation locale, dont le cabotage.
Les marées que connaît le fleuve auront une incidence sur la morphologie des bateaux à construire dans les petits chantiers. Ainsi, dans le Bas-du-Fleuve, la quille que l’on trouve sur la goélette hauturière sera sacrifiée pour permettre aux goélettes à fond plat un échouage en l’absence de quai.
Généralement dotées de deux mats, et par la suite de moteur, ces « voitures d’eau », comme on les appelait à l’époque, seront essentielles pour ravitailler les villages côtiers et les insulaires. L’hiver était la saison idéale pour la construction, le radoub (réparation) et le carénage (nettoyage et réparation de la partie immergée de la coque) des bateaux. Entre 1860 et 1959, année de la dernière production de goélettes, 47 goélettes seront construites au chantier de L’Isle-aux-Coudres.
Les moulins
Au début du 19e siècle, les deux petits moulins à vent peu efficaces, qui avaient été construits au siècle dernier, ne répondent plus aux besoins des habitants de l’île. Ces derniers obtiennent alors l’autorisation du Séminaire de Québec pour ériger un moulin à eau sur la rivière Rouge. Cependant, le faible débit en période hors des crues ne donne pas les rendements escomptés.
Qu’à cela ne tienne, pour contrer les faibles rendements du moulin à eau, les habitants vont proposer la construction d’un moulin à vent d’envergure (en page couverture et photo ci-contre) avec une tour qui permet d’orienter les ailes face au vent. Ainsi en 1830, le moulin à eau et le moulin à vent logent à la même adresse.
Restaurées il y a quelques années, vous pouvez visiter ces installations uniques qui font partie du réseau des Écomusées lors d’une visite à l’île. Vous aurez l’occasion de voir, comme autrefois, le meunier moudre le grain et assister à une démonstration de mouture de blé, de sarrasin ou de seigle.
L’histoire de l’île aux Coudres, à l’instar d’autres îles du Saint-Laurent, témoigne d’un riche héritage de la vie des insulaires souvent peu abordé dans nos livres d’histoire et qui gagnerait à être étudié.
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Cet article fait partie d’une série d’histoires parues initialement dans le magazine Traces de la Société des professeurs d’histoire du Québec (SPHQ).