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Val-Jalbert, témoin de la deuxième phase de l’industrialisation du Québec
Au début du 20e siècle, alors que l’économie canadienne connaît une période de prospérité, le Québec entre dans une seconde phase d’industrialisation qui dure jusqu’à la crise économique de 1929.
De nouveaux secteurs industriels se développent, basés sur l’exploitation des ressources du territoire, dont la forêt québécoise riche en matière ligneuse, essentielle à la confection de la pâte à papier.
L’industrie des pâtes et papiers bénéficie des innovations technologiques qui permettent de transformer de la pâte de bois en papier. Cette industrie répond principalement à la demande des États-Unis où la presse et la publicité consomment de plus en plus de papier.
Au Québec, premier producteur de pâtes et papiers du Canada, la valeur de la production passe de 5 millions de dollars en 1900 à 130 millions en 1929.
C’est dans ce contexte économique que l’homme d’affaires Damase Jalbert (1842-1904) entreprendra en 1901 la construction d’une usine de pâte à papier, une pulperie, sur la rivière Ouiatchouan dans la région du Lac-Saint-Jean.
Si, au 19e siècle, l’exploitation de la forêt québécoise se fait autour de l’industrie du bois de sciage, au début du siècle suivant, c’est la production de pâtes et papiers qui devient le nouveau moteur de développement des régions forestières telles l’Outaouais, la Mauricie et dans le cas qui nous intéresse le Saguenay-Lac-Saint-Jean.
En 1890, l’homme d’affaires Damasse Jalbert, qui possédait déjà une fromagerie à Saint-Jérôme de Métabetchouan au Lac-Saint-Jean, achète une entreprise de bois de sciage équipé d’une scierie située sur les rives du lac Bouchette.
Conscient de la forte demande pour la pâte de bois et encouragé par la construction du chemin de fer dans la région du Lac-Saint-Jean, le promoteur veut mettre sur pied une industrie de la pulpe pour exploiter les ressources forestières qui borde les 109 kilomètres de la rivière Ouiatchouan et ses deux chutes.
En mars 1901, après avoir amassé 150 000 $ auprès de différents actionnaires convaincus de la faisabilité de son projet, Damase Jalbert achète, avec Wilbrod Jalbert et Étienne Paradis, au nom de la future compagnie de pulpe, le terrain appartenant à Frank Ross.
Il entreprend alors la construction de la pulperie sur la rivière Ouiatchouan, d’un barrage au sommet de la chute la plus en aval et d’un chemin de fer devant rejoindre le village de Chambord. Comme la tradition le voulait à l’époque, le 17 août 1902, près de 2 000 personnes viennent assister à la bénédiction de l’usine qui produit de la pâte de bois mécanique.
Afin de loger les travailleurs de l’usine, le promoteur fait construire un village à proximité de l’usine qui deviendra un véritable village de compagnie.
Au début, le village compte 111 personnes. Malheureusement, Damase Jalbert décède en 1904 et la compagnie de pulpe Ouiatchouan passe aux mains d’investisseurs américains qui rebaptisent l’entreprise Ouiatchouan Falls Paper Compagny et le village Ouiatchouan Falls. Lourdement endettés avant même l’achat de la pulperie, les investisseurs américains déclarent faillite trois ans plus tard.
En 1907, grâce à l’intervention de Julien-Édouard-Alfred Dubuc (1871-1947), alors directeur de la Compagnie de Pulpe de Chicoutimi, l’usine de la Ouiatchouan est sauvée. Il achète graduellement les actions, devient gérant et fait agrandir l’usine ce qui permet à terme de doubler la production de pulpe.
Au début du 20e siècle, le protectionnisme américain sur les produits qui ont subi des transformations comme la pâte à bois cause un préjudice à cette industrie.
En 1910, afin d’éviter que les ressources en bois ne soient exportées directement aux États-Unis sans transformation, le gouvernement du Québec dirigé par le libéral Lomer Gouin met en place des lois provinciales qui interdisent l’exportation, sauf exception, des bois à pâte coupés sur les terres publiques.
Cette législation incite alors les hommes d’affaires à transformer la matière ligneuse près des lieux de coupe. Finalement, avec l’Underwood Act de 1913, les États-Unis abolissent, à la satisfaction des Canadiens et propriétaires de journaux américains, les tarifs sur le papier importé.
Cette nouvelle situation incitera M. Dubuc à investir dans de nouvelles installations à l’usine, telles qu’une chambre des meules munie de trois turbines reliées à 10 défibreuses. Le village de Val-Jalbert est alors en pleine expansion.
En 1915, la législation québécoise permet au village de Saint-Georges de Val-Jalbert de devenir une municipalité à part entière, offrant ainsi aux élus une voix égale à celles des dirigeants de la compagnie. On crée une commission scolaire et par la suite un couvent-école sous la direction de la congrégation des sœurs de Notre-Dame-du-Bon-Conseil de Chicoutimi.
De 1917 à 1919, le village de Val-Jalbert connaît un nouveau développement urbain à l’image du modèle américain. On aménage des égouts, des aqueducs, des bornes-fontaines, des trottoirs en bois et on construit de nouveaux logements ouvriers modernes munis de l’électricité comme dans les grandes villes du Québec.
La prospérité est alors au rendez-vous même si la grippe espagnole qui suivra la Première Guerre mondiale frappera durement la petite communauté de Val-Jalbert.
Les derniers investissements ont lieu en 1920 avec l’aménagement d’une salle équipée d’un écorceur à tambour pour l’usine et la construction de dix nouvelles maisons doubles dans le village. En 1926, un nouveau cartel du papier montréalais, la Quebec Pulp and Paper Mills Ltd., rachète la Compagnie de Pulpe et de Pouvoirs d’Eau du Saguenay. Cette acquisition entraîne un dernier regain de productivité dans l’entreprise. Le village compte alors 950 personnes.
Des rumeurs de fermeture commencent toutefois à se répandre et entraînent un exode des ouvriers et de leur famille vers d’autres lieux. L’industrie de la pulpe connaît un déclin soudain, provoqué par la popularité de la pâte chimique.
Au surplus, les usines de pâtes qui sont éloignées des usines de papier sont désavantagées par les importants frais de transport qu’elles doivent assumer.
La fin approche pour Val-Jalbert. Le 5 août 1927, la compagnie publie l’avis suivant : « Par suite du mauvais état du marché de la pâte mécanique, nous cesserons les opérations à l’usine de Val-Jalbert le 13 août à minuit pour un temps indéfini. »
Une douzaine d’employés et quelques contremaîtres et ingénieurs restent pour voir au fonctionnement de la dynamo, à l’entretien et au chauffage de l’usine et à la gestion de ce qui reste des affaires municipales.
En 1930, il ne reste que 50 personnes au village qui deviennent alors propriétaires de leur terrain et maison. Le petit Val Jalbert, tel qu’appelé à cette époque, survivra jusqu’en 1971 où il est annexé à la municipalité de Chambord. Cependant, l’ensemble du village restera abandonné pour devenir ce qu’on appelle le « village fantôme de Val-Jalbert ».
En 1987, la Société des établissements de plein air du Québec (SEPAQ) se voit confier le développement du site historique du village de Val-Jalbert qui sera classé site historique par le gouvernement du Québec en 1996.
En 1998, la MRC Le Domaine-Du-Roy prend en charge la gestion du site. Au cours de la saison touristique estivale, le site historique est animé par des personnages en costume d’époque qui font revivre ce village de compagnie, un spectacle multimédia retrace son histoire et une exposition explique les différentes étapes de fabrication de la pâte.
C’est une belle façon de découvrir l’histoire du Québec et celle d’une industrie qui a joué un rôle important dans l’économie.
Origine du papier à base de bois
Au début du 19e siècle, la fabrication du papier se fait à partir de chiffons de déchets de filatures ou de paille. L’accroissement de la demande, qui s’amorce à partir de la seconde partie du siècle, incite les chercheurs à trouver de nouvelles matières premières pour fabriquer de grandes quantités de papier à meilleur coût.
Il revient au Français Nicolas Robert d’avoir inventé une première machine à papier pour laquelle il obtient un brevet en 1798. Toutefois, ce sont des Anglais, les frères Fourdrinier, dont les machines portent encore le nom, qui adaptent l’invention à l’industrie. Deux grands procédés sont mis au point pour transformer le bois en pâte ou en papier.
Le procédé de pâte mécanique, découvert par l’Allemand Friedrich Keller en 1843, consiste essentiellement à détacher la fibre ligneuse du bois par broyage. La force mécanique est nécessaire pour activer les meules qu’on garde en contact avec l’eau. Cette pâte de moindre qualité sert surtout à la fabrication du papier journal.
Le second procédé, dont l’invention est attribuée au Hollandais Matthias Koops en 1801, consiste à tirer du bois une pâte chimique ou pâte cellulosique. Celle-ci est obtenue en faisant bouillir la fibre ligneuse coupée en copeaux dans de grandes chaudières chauffées sous pression. Ce sont deux Anglais, Burgess et Watt, qui parviendront à appliquer pour fins industrielles, les idées de Koops.
(Extrait de Histoire du Saguenay-Lac-Saint-Jean par Camil Girard et Normand Perron, Québec, IQRC, 1989, p. 299)
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Cet article fait partie d’une série d’histoires parues initialement dans le magazine Traces de la Société des professeurs d’histoire du Québec (SPHQ).