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Le traité de Versailles : une paix et ses conséquences
« Entre le XIXe siĂšcle qui meurt avec la Grande Guerre et un XXe siĂšcle quâelle enfante, le traitĂ© de Versailles est une oeuvre bĂątarde, certes pas bĂąclĂ©e mais pleine des contradictions qui tissent la terrible pĂ©riode dont il marque lâapparente cĂ©sure. » - Michel Launay1
Le traiteÌ de Versailles de 1919 devait assurer une paix peÌrenne aÌ lâEurope. Or, vingt ans aÌ peine apreÌs que lâencre y fut apposeÌe, la Seconde Guerre mondiale eÌclata.
Lâarticle qui suit vise donc aÌ jeter un eÌclairage nouveau sur la confeÌrence qui a vu naiÌtre ce traiteÌ, aÌ en analyser les articles importants et aÌ aborder les conseÌquences quâil eut sur lâavenir de lâEurope.
La confĂ©rence de la Paix... et les problĂšmes lâentourant
La confeÌrence de la Paix qui deÌbuta aÌ Paris le 18 janvier 1919 se deÌmarquait par le grand nombre de ses participants. Puisquâil sâagissait dâune paix de coalition, pas moins de 27 nations furent inviteÌes aÌ la table des neÌgociations.
On y poursuivit dâambitieux objectifs comme de reconstruire lâespace europeÌen, de creÌer une organisation juridique de la socieÌteÌ internationale et de reÌtablir les eÌchanges commerciaux.
Cette belle colleÌgialiteÌ ne devait pas perdurer. Les deÌcisions furent rapidement prises par le seul Conseil des Dix constitueÌ des preÌsidents (ou premiers ministres) et des ministres des Affaires eÌtrangeÌres des EÌtats-Unis, de France, de Grande-Bretagne, dâItalie et du Japon.
Mais meÌme ce groupe restreint demeurait trop nombreux. DeÌs le second mois de la confeÌrence, les Quatre Grands (on excluait le Japon) tinrent des reÌunions priveÌes en marge des seÌances2.
AÌ partir du mois de mars, le traiteÌ peut eÌtre consideÌreÌ comme eÌtant lâĆuvre des seuls Clemenceau, Lloyd George et Wilson, appuyeÌs par la bagatelle de 52 commissions3.
On doit regretter cette façon de faire car ces trois dirigeants se fiaient tantoÌt sur les travaux dâexperts, tantoÌt deÌnigraient ceux-ci pour deÌcider eux-meÌmes, tout en maintenant aÌ lâeÌcart les diplomates de carrieÌre. Ceci fit en sorte que le traiteÌ ne fut pas des plus eÌquilibreÌ.
Une importante faiblesse structurelle du traiteÌ de Versailles reÌside dans le fait quâil fuÌt lâaboutissement de neÌgociations au cours desquelles les AmeÌricains, les Britanniques et les Français ne purent sâentendre parfaitement car poursuivant des buts diffeÌrents.
La France voulait morceler son ennemi, lui faire payer de fortes reÌparations et lui enlever la rive gauche du Rhin. La Grande-Bretagne deÌsirait reÌduire la puissance eÌconomique allemande tout en maintenant lâeÌquilibre europeÌen5.
Quant aux EÌtats-Unis, ils cherchaient aÌ asseoir la paix europeÌenne sur de solides bases et raviver les eÌchanges internationaux le plus rapidement possible. Lâexplicitation de toutes ces divergences deÌpassant le cadre de cet article, il ne sera question ici que des questions territoriales et des reÌparations.
Au niveau territorial, les exigences françaises deÌpassaient de beaucoup celles de leurs allieÌs anglo-saxons. Paris cherchait avant tout aÌ assurer sa seÌcuriteÌ quitte aÌ bafouer le principe wilsonien du droit aÌ lâauto-deÌtermination des peuples.
Câest que Clemenceau eÌtait, tout comme son preÌsident PoincareÌ, un patriote marqueÌ par les invasions allemandes. Le preÌsident du Conseil fera donc sienne la theÌse du mareÌchal Foch pour qui la seÌcuriteÌ française passait par lâobtention dâune nouvelle frontieÌre strateÌgique commune des allieÌs face aÌ lâAllemagne, qui suivrait lâaxe Pays-Bas/Rhin/Suisse.
Ce plan repreÌsentait le strict minimum aÌ obtenir. AÌ lâeÌpoque, les universitaires, les militaires, les nationalistes et les radicaux français souhaitaient le maintien de troupes allieÌes tout le long du Rhin et la creÌation dâun ou de plusieurs EÌtats rheÌnans soumis aÌ un statut international7.
Dans certains cercles de droite, on deÌsirait meÌme faire du traiteÌ une reprise de celui de Westphalie (1648) afin de deÌmembrer lâAllemagne.
Comme tout ceci allait aÌ lâencontre des deÌsirs de Washington et de Londres, Clemenceau cherchera aÌ recreÌer la frontieÌre franco-allemande de 1814 qui donnerait aÌ son pays le Landau et la Sarre.
Ses interlocuteurs le lui refuseÌrent mais, en contrepartie de lâabandon de ses desseins territoriaux, la France recevait des garanties dâassistance militaire si lâAllemagne venait aÌ lâagresser sans provocation preÌalable. Paris accepta ce compromis mais, le 19 mars 1920, ces meÌmes garanties furent rendues caduques lorsque le SeÌnat ameÌricain rejeta par six voix de majoriteÌ le traiteÌ.
AÌ cause des deÌsistements ameÌricain et anglais (dont les assurances eÌtaient lieÌes aÌ la promesse ameÌricaine), le probleÌme de la seÌcuriteÌ allait demeurer une preÌoccupation constante de la politique française. Ce souci allait eÌtre concomitant avec lâimmuabiliteÌ, dans certains cercles de lâadministration, de lâideÌe selon laquelle il serait bon de reÌactualiser, si possible, les strateÌgies lieÌes aÌ la seÌcuriteÌ nationale abandonneÌes par Clemenceau.
Câest cette ideÌe « dâameÌliorer » le traiteÌ de Versailles qui allait influencer les deÌcideurs français aÌ faire le grand saut dans la Ruhr en 1923 et dâoccuper militairement, en pleine paix, un territoire allemand.
Cette ligne de conduite, qui visait un affaiblissement perpeÌtuel de lâAllemagne, doit se comprendre aÌ la lumieÌre des destructions perpeÌtreÌes sur le sol français au cours des quatre anneÌes preÌceÌdentes.
Bref, les divergences dâopinion chez les vainqueurs quant aux conditions territoriales aÌ imposer affaiblirent le traiteÌ qui reÌsultat de ces tractations puisquâun des signataires les plus importants, la France, nây trouva pas son compte. Cette dernieÌre tentera meÌme dâen reÌviser le contenu aÌ son avantage au cours des anneÌes 20.
Pis, deÌs le deÌpart, cette confeÌrence fit fausse route car, contrairement aÌ ce qui eÌtait dâusage en Europe aÌ lâeÌpoque, il nây eut aucune veÌritable neÌgociation entre les vainqueurs et les vaincus.
Ce nâest quâapreÌs cinq mois dâentretiens entre les AllieÌs et AssocieÌs, incidemment le 7 mai 1919 qui marquait le triste anniversaire du torpillage du Lusitania, que lâon daigna preÌsenter le traiteÌ aÌ la deÌleÌgation allemande. On nâa donc jamais tenu compte de la Friedensdelegation.
On donna ensuite quinze jours aÌ Berlin pour preÌsenter des observations mais, paradoxalement, on sâopposa aÌ entamer toute neÌgociation directe avec le Reich.
Le tout traiÌna quelque peu en longueur et ce nâest que le 16 juin que lâon remit une nouvelle version du traiteÌ assorti dâun ultimatum de trois jours (bientoÌt porteÌ aÌ cinq) en vue de la signature rapide de celui-ci.
ApreÌs quelques tergiversations, la deÌleÌgation allemande signa, dans cette meÌme galerie des Glaces qui avait vu naiÌtre ce IIe Reich qui venait de disparaiÌtre, le traiteÌ de Versailles. Cet eÌveÌnement historique eut lieu le 28 juin 1919... cinq ans jour pour jour apreÌs lâattentat de Sarajevo. Mais que contenait donc ce traiteÌ ?
Les articles importants du traité de Versailles
La confeÌrence de la Paix accoucha dâun traiteÌ qui, devant les insistances anglaises et surtout françaises, eÌrigeaient de nombreuses entraves aÌ la souveraineteÌ allemande tout en imposant de lourdes charges financieÌres.
Pour la France, ces entraves devaient eÌtre maintenues ad vitam aeternam afin de permettre la reconstruction de ses deÌpartements deÌvasteÌs et dâassurer sa seÌcuriteÌ11. Il serait maintenant aÌ propos dâaborder succinctement quelques-uns des articles les plus importants de cet accord.
La premieÌre partie du traiteÌ portait sur la creÌation de la SocieÌteÌ des Nations (SDN). Cette organisation devait deÌvelopper la coopeÌration entre les pays et permettre dâentretenir au grand jour les relations internationales afin dâeÌviter la creÌation dâalliances propres aÌ embraser le monde aÌ la moindre conflagration.

On deÌsirait aussi suivre rigoureusement les prescriptions du droit international. Cette partie se termine par la liste exhaustive (dont le Canada fait partie) des 32 membres originaires de la SDN, ainsi que des 13 pays inviteÌs aÌ sây joindre.
Il est ironique de constater que le traiteÌ devant mettre fin aÌ la Grande Guerre deÌbute en eÌtablissant une SDN aÌ laquelle lâennemi dâhier nâest meÌme pas convieÌ.

La seconde partie concernait la deÌlimitation des nouvelles frontieÌres allemandes. On y consacrait la perte pour lâAllemagne du septieÌme de sa superficie, soit 72 000 km2 peupleÌs de 6,5 millions dâhabitants.
Les articles 27 et 28 enleveÌrent aÌ Berlin non seulement lâAlsace-Lorraine, deÌjaÌ occupeÌe par lâarmeÌe française, mais aussi lâEupen et le MalmeÌdy rattacheÌs aÌ la Belgique, la Posnanie et une partie de la Prusse-Orientale. Ces deux dernieÌres reÌgions devaient servir aÌ la recreÌation de la Pologne en vertu du principe wilsonien du droit des peuples aÌ disposer dâeux-meÌmes.
On deÌtacha aussi Memel et, aÌ partir du 14 feÌvrier 1920, le Schleswig du Nord sera administreÌ par le Danemark aÌ la suite dâun pleÌbiscite.
Vint ensuite les clauses politiques. On y abordait les conditions entourant le transfert de la souveraineteÌ sur les territoires attribueÌs aÌ la Belgique, aÌ la France et aÌ la Pologne. On proscrivait aux Allemands le maintien ou la construction de fortifications sur la rive gauche du Rhin et sur la rive droite aÌ lâinteÌrieur des premiers 50 km (art. 42) et le rassemblement ou lâentretien de troupes dans la meÌme zone (art. 43).
Quant aÌ lâarticle 44, il stipulait que toute transgression des articles 42 et 43 serait consideÌreÌe comme un acte hostile vis-aÌ-vis des puissances signataires et de la paix dans le monde.
Malheureusement, il semblerait que cet article nâeÌtait pas aÌ lâordre du jour lors de la remilitarisation de la RheÌnanie par Hitler en 1936...
Câest aussi au sein de cette troisieÌme partie quâil fuÌt question des mines de la Sarre. On offrit aÌ la France la possibiliteÌ de sâassurer la proprieÌteÌ de celles-ci contre une indemnisation minime afin de la deÌdommager du saccage de ses propres mines lors du conflit.
Lâhistorien Jacques BarieÌty fut un des premiers aÌ voir dans les diverses dispositions du traiteÌ un veÌritable projet sideÌrurgique français14 car celles- ci modifiaient les structures eÌconomiques profondes de lâEurope en faveur de la France.
AÌ titre dâexemple, notons que le traiteÌ forçait Weimar aÌ livrer du charbon aÌ la Belgique, aÌ la France et aÌ lâItalie pendant une deÌcennie. On parle ici dâune quantiteÌ non neÌgligeable : 360 millions de tonnes.
Ceci en meÌme temps que Berlin perdait, aÌ cause des divers remaniements territoriaux, 80 % de ses ressources en minerai de fer, 40 % de sa capaciteÌ de production de fonte et 30 % de sa capaciteÌ de production dâacier16. Toute chose neÌcessaire aÌ une armeÌe moderne.
De plus, le vaincu avait duÌ ceÌder tous ses navires de commerce de plus de 1 600 tonnes, la moitieÌ de ceux entre 1 000 et 1 600 tonnes, 150 000 wagons, 5 000 locomotives, 5 000 camions, tout le mateÌriel roulant preÌsent en Alsace-Lorraine et le quart de sa flotte de peÌche. Le traiteÌ donnait aussi des avantages commerciaux aÌ la France qui nâexpireraient quâen janvier 192518.
On creÌait aussi le fameux corridor polonais de si sombre meÌmoire (art. 100) tout en deÌtachant Dantzig de lâorbite allemande (art. 102). Berlin dut reconnaiÌtre et respecter lâindeÌpendance inalieÌnable de lâAutriche (art. 80).
Ceci empeÌchait lâAnschluss tout en bafouant la sacro-sainte auto-deÌtermination des peuples. Ce double standard ne devait pas passer inaperçu chez les germanophones...
La partie IV concernait les droits et inteÌreÌts allemands hors dâEurope. On y deÌposseÌda lâAllemagne de toutes ses colonies en faveur des puissances allieÌes (art. 119) et on fit passer toutes les possessions mobilieÌres et immobilieÌres allemandes dans ces colonies entre les mains des nouveaux occupants (art. 120).
La partie V eÌtait dâune importance capitale pour la seÌcuriteÌ française car elle regroupait les clauses militaires. Tout y fut fait pour briser lâarmeÌe impeÌriale.
Il fut deÌcideÌ que la future Reichswehr (armeÌe allemande) ne serait composeÌe que de 100 000 hommes, tous deÌdieÌs au maintien de lâordre et aÌ la police des frontieÌres. Elle ne serait encadreÌe que par 4 000 officiers et il nây aurait pas de grand eÌtat- major geÌneÌral.
On encadra jusquâau nombre de canons, de mitrailleuses, de fusils et de minenwerfers quâelle serait autoriseÌe aÌ deÌtenir et aÌ produire. Lâimportation dâarticles guerriers fut prohibeÌe (art. 170) ainsi que la fabrication ou lâachat de gaz asphyxiants et de chars blindeÌs (art. 171).
Le service militaire obligatoire fut aboli (art. 173), on encadra la dureÌe de la carrieÌre des engageÌs (art. 174) et on supprima la redouteÌe Kriegsakademie sans jamais la nommer dâailleurs (art. 176).
On interdit aussi aÌ Berlin dâavoir des sous-marins (art. 191) et une aviation militaire et navale (art. 198). Tous ces articles avaient du sens en autant que les autres nations europeÌennes deÌsarment. Tel ne fut pas le cas...
La partie VI portait sur les prisonniers de guerre et les seÌpultures et eÌtait constitueÌe dâarticles propres aÌ obtenir lâassentiment de tous. La partie VII allait cependant causer plus de remous puisquâon y accusait publiquement lâex-Kaiser Guillaume II dâavoir offenseÌ la morale internationale et lâautoriteÌ sacreÌe des traiteÌs. On se proposait meÌme de constituer un tribunal speÌcial pour juger cet accuseÌ dâenvergure (art. 227). Il ne fut finalement jamais reÌuni.
Les parties X, XI et XII porteÌrent sur lâeÌconomie, la navigation aeÌrienne, les ports, les voies de circulation navales et ferroviaires et sur le travail. On y preÌvoyait lâoctroi, par lâAllemagne, de la clause de la nation la plus favoriseÌe pour tous les AllieÌs et AssocieÌs, et ce, sans reÌciprociteÌ (art. 264, 267).
On y deÌpouillait lâAllemagne de moult brevets dont la ceÌleÌbre aspirine de Bayer (art. 306 aÌ 311) tout en internationalisant lâElbe, lâOder, le NieÌmen, le Danube et le Rhin (art. 331).
Bref, ces parties font ressortir, de façon patente, le caracteÌre foncieÌrement eÌconomique de ce que fut finalement la Grande Guerre, aÌ savoir la premieÌre guerre totale.

Abordons maintenant la partie VIII du traiteÌ. Celle concernant les reÌparations et qui deÌbute par le ceÌleÌbre article 231 :
Les gouvernements alliĂ©s et associĂ©s dĂ©clarent et lâAllemagne reconnaĂźt que lâAllemagne et ses alliĂ©s sont responsables, pour les avoir causĂ©s, de toutes les pertes et les dommages subis par les gouvernements alliĂ©s et associĂ©s et leurs nationaux en consĂ©quence de la guerre, qui leur a Ă©tĂ© imposĂ©e par lâagression de lâAllemagne et de ses alliĂ©s.
Cet article, que lâon doit aÌ Lloyd George, circonscrivait donc la responsabiliteÌ de la deÌflagration de la PremieÌre Guerre mondiale aÌ lâAllemagne et ses allieÌs et allait eÌtre la pierre angulaire de la politique française visant lâobtention de reÌparations20.
Ces reÌparations, lâHexagone en avait un urgent besoin si lâon se fie aux statistiques eÌvocatrices fournies par le ministre des ReÌgions LibeÌreÌes, Charles Reibel.
Dans son rapport, il affirma que la France avait aÌ reconstruire 280 147 maisons et 4 084 eÌtablissements industriels, aÌ reÌparer 422 736 maisons, 53 976 km de routes et 1 112 km de voies navigables en plus dâavoir aÌ remettre en valeur 3 337 000 hectares de terres de culture. Les couÌts relieÌs aÌ ce neÌcessaire effort, en plus des pensions aÌ verser, eÌtaient estimeÌs aÌ 170 milliards de marks-or.
Pour les Français, lâentieÌreteÌ de cette somme devait eÌtre deÌbourseÌe par lâinstigateur du deÌsastre; dâouÌ le ceÌleÌbre « lâAllemagne paiera » repris abondamment par le ministre des Finances de France, Louis-Lucien Klotz.
Ce dernier inaugura meÌme une politique de division du budget français en deux parties. Il scinda ainsi le budget de 1920 entre les « deÌpenses ordinaires » et les « deÌpenses extraordinaires ».
La deuxieÌme partie recouvrait tous les frais relieÌs aÌ la reconstruction devant ulteÌrieurement eÌtre payeÌs par lâAllemagne. CâeÌtait une façon adroite de preÌsenter un budget eÌquilibreÌ et dâinstitutionnaliser les reÌparations.
La reÌticence et lâincapaciteÌ allemande aÌ assurer le deÌdommagement inteÌgral de tous les couÌts reÌels ou supposeÌs engendreÌs par la guerre se traduiront, en 1923, par une mesure coercitive comme lâoccupation militaire de la Ruhr.
Celle-ci est elle-meÌme une conseÌquence dâun grave probleÌme geÌneÌreÌ par lâordre versaillais. Câest que le traiteÌ ne stipulait ni le montant ni le rythme des reÌparations qui devaient eÌtre payeÌes tout en nâorganisant point un grand emprunt de reconstruction. Trois raisons expliquent le silence des vainqueurs.
Tout dâabord, Klotz convainquit Clemenceau quâaucun montant reÌaliste ne pourrait agreÌer au peuple et quâaucun gouvernement sâattelant aÌ la taÌche dâen fixer un ne parviendrait aÌ conserver le pouvoir.
Ensuite, il y eut la raison bien pratique que les chiffres avanceÌs en mars 1919 par les trois plus importantes deÌleÌgations eÌtaient trop eÌloigneÌs pour quâil y ait un accord; les AmeÌricains proposaient 120 milliards de marks-or dont la moitieÌ serait verseÌe en marks-papier (au cours du change) alors que les Français proposaient un montant oscillant entre 124 et 188 milliards de marks-or.
Finalement, ce blanc laisseÌ dans le traiteÌ arrangeait Paris qui avait, dâores et deÌjaÌ, lâintention de lier le montant des reÌparations aux dettes de guerre contracteÌes aupreÌs des Anglo-Saxons.
Câest alors que lâideÌe de John Foster Dulles fut retenue : câest aÌ une Commission des ReÌparations (CR) quâallait eÌtre deÌvolue la charge de fixer un montant et un rythme pour le paiement des reÌparations, et ce, au plus tard le 5 mai 1921. Cette situation peu banale fit que la deÌleÌgation allemande, en acceptant le traiteÌ de Versailles, signa en fait un cheÌque en blanc.
Bref, le traiteÌ de Versailles avait pour ambition de juguler la puissance eÌconomique et militaire de lâAllemagne afin dâassurer la paix. Malheureusement, comme nous lâavons vu, il fut mal conçu et eut des effets funestes sur lâavenir.
Les conséquences liées au traité et les conclusions à en tirer
Lors de lâeÌlaboration du traiteÌ eÌtudieÌ ici, plusieurs erreurs furent commises. La plus grosse faute consista aÌ refuser aÌ lâAllemagne le droit de participer aÌ la confeÌrence de la Paix. DeÌs lors, les vaincus consideÌreÌrent, avec raison, que ce traiteÌ leur eÌtait imposeÌ, que câeÌtait une paix de vainqueur, un Diktat.
On peut eÌgalement comprendre comment la grogne monta dâun cran lorsque lâon prit connaissance de lâarticle 231. Par ailleurs, tous les partis politique weimariens demandeÌrent par la suite lâabrogation de celui-ci qui refleÌtait pourtant le sentiment des peuples et des gouvernants allieÌs.
Plus dramatique encore pour le futur, Hitler dut une partie de sa populariteÌ au fait quâil se posait en adversaire reÌsolu du Diktat.
La mise aÌ lâeÌcart de la Friedensdelegation fut aussi concomitante dâune ambiance treÌs eÌloigneÌe de lâesprit de concorde. En effet, lorsque les dispositions du traiteÌ furent connues en Allemagne, la consternation y fut totale.
On refusa initialement de le signer. Scheidemann, qui avait proclameÌ la reÌpublique quelques mois auparavant, affirma meÌme : « Une main qui signerait ce traiteÌ devrait desseÌcher ». Ce nâest que devant la menace dâeÌtre occupeÌ militairement et sous les effets du blocus que lâAllemagne obtempeÌra.
Nous avons donc affaire aÌ un Diktat imposant une situation que les vaincus nâont pu accepter et que, malheureusement, meÌme les vainqueurs ont perçue comme insatisfaisante.
Car câest bien laÌ que le baÌt blesse : ce traiteÌ de coalition nâeÌtait pleinement approuveÌ par personne. Les Anglo-Saxons le trouvaient parfois trop dur, les Allemands lâabhorraient et la plupart des Français le consideÌraient comme aÌ peine adeÌquat pour leur seÌcuriteÌ.
Ceci allait faire en sorte que les Allemands, les AmeÌricains, les Britanniques, et meÌme les Français ne voulurent pas en deÌfendre tous les points. Pis, tous voulurent rapidement reÌviser celui-ci, lâaffaiblissant du meÌme coup.
Une autre erreur fut de repousser aÌ plus tard la quantification des reÌparations. Ceci eut pour conseÌquence que les relations entre les anciens belligeÌrants se corseraient aussitoÌt quâil serait question de fixer un montant, de le faire accepter par lâAllemagne puis de sâassurer de son recouvrement.
Entre la signature du traiteÌ et lâoccupation de la Ruhr en 1923, pas moins de 24 confeÌrences internationales furent tenues concernant cette question deÌmontrant de façon spectaculaire le caracteÌre embryonnaire du traiteÌ et le climat dâinseÌcuriteÌ et dâinstabiliteÌ quâil ne put combattre.
Lorsquâenfin la CR divulgua le montant des reÌparations, aÌ savoir 132 milliards de marks-or, les Allemands sâinsurgeÌrent. Ce chiffre semblait eÌnorme en regard aÌ la situation eÌconomique de leur pays : il repreÌsentait deux ans et demi de revenu national dâavant-guerre.
Or, la vie eÌconomique allemande de 1921 nâeÌtait plus celle de 1913 : perte seÌche de deÌboucheÌs (colonies), perte dâune bonne partie du territoire national et donc dâune partie de sa richesse, amenuisement de lâouverture de plusieurs marcheÌs eÌtrangers, gouvernement greÌleÌ de dettes, outillages industriels useÌs et apparition de nouvelles charges sociales aupreÌs des victimes directes et indirectes de la Grande Guerre avaient contribueÌ aÌ entamer les potentialiteÌs de remboursement aÌ court terme.
La somme fixeÌe repreÌsentait une ponction annuelle de 14 % de la production nationale eÌchelonneÌe sur 30 ans. Pour que lâAllemagne paye ses dettes envers les AllieÌs, il aurait fallu quâelle reÌussisse aÌ redevenir une puissance industrielle et commerciale en augmentant de 65 % le volume de ses exportations; elle serait ainsi entreÌe en concurrence avec ses creÌanciers ce quâune nation exsangue comme la France ne pouvait souffrir.
Il lui eÌtait eÌgalement impossible de sâacquitter de cette somme en or puisque celle-ci repreÌsentait plus du double de la totaliteÌ du preÌcieux meÌtal extrait depuis la deÌcouverte de lâAmeÌrique! La seule façon reÌaliste pour lâAllemagne de solder sa dette aurait eÌteÌ de rembourser sous forme de biens et de services35.
CâeÌtait preÌciseÌment ce quâune France soucieuse de limiter la puissance industrielle de son voisin voulait eÌviter. Bref, aÌ Berlin et aÌ Paris, on avait compris que le nouveau champ de bataille eÌtait celui des reÌparations37.
Une autre tare de lâordre versaillais eÌtait quâil bafouait parfois sciemment les principes wilsoniens quâil eÌtait censeÌ imposer. Ce fut notamment le cas de la fameuse auto-deÌtermination des peuples alors que lâon « enferma » quelques millions dâAllemands dans les nouvelles Pologne et TcheÌcoslovaquie.
LâimpossibiliteÌ de faire lâAnchluss sans lâaccord de la SDN en froissa plus dâun eÌgalement. AÌ cet eÌgard, ce traiteÌ eÌtait une paix de vainqueur hypocrite peu propice aÌ obtenir lâadheÌsion enthousiaste des vaincus (si une telle chose est possible).
Les puissances victorieuses contraignirent aussi lâAllemagne aÌ adopter le modeÌle deÌmocratique. Ceci fit malheureusement en sorte que la nouvelle reÌpublique de Weimar allait eÌtre associeÌe, dans la psycheÌ allemande, aÌ la deÌfaite et aux eÌnormes probleÌmes qui suivirent celle-ci.
Devant lâinstabiliteÌ des anneÌes 20 et 30, peÌriode marqueÌe par des tentatives de putsch (aÌ gauche comme aÌ droite), des meurtres politiques (Liebknecht, Luxemburg, Ezberger et Rathenau) et des crises eÌconomiques successives (lâhyperinflation de 1923 puis la Crise), la populace se tourna vers des partis politiques non deÌmocratiques et radicaux.
Ces derniers promettaient des solutions simples aux probleÌmes que les piliers traditionnels de la reÌpublique (SPD, Zentrum, DDP, DVP) se montraient incapables de reÌsoudre. Le NSDAP et le KPD allaient en eÌtre les principaux beÌneÌficiaires.
Paradoxalement, ce traiteÌ qui visait lâamoindrissement de lâAllemagne ameÌliora sa situation strateÌgique. En lâentourant de petits pays tels que la Pologne, la TcheÌcoslovaquie et lâAutriche, on permit aÌ Berlin de constituer une veÌritable Mittlereuropa au cours des anneÌes 30 en faisant passer ces pays sous son aire dâinfluence. Hitler allait en profiter.
AÌ la lumieÌre de ce texte, nous pouvons conclure que câest peut-eÌtre Anatole France qui deÌcrit le mieux ce que repreÌsenta lâordre versaillais lorsquâil affirma : « La plus horrible des guerres a eÌteÌ suivie dâun traiteÌ qui ne fut pas un traiteÌ de paix mais la prolongation de la guerre. ».
Car câest bien ce que ce traiteÌ eÌtait : une poursuite de la guerre sous une autre forme. Ce dernier eÌtait eÌgalement voueÌ aÌ lâeÌchec, et ce, pour deux raisons. Tout dâabord, il sâagissait dâune Ćuvre inacheveÌe, comme on peut le constater en ce qui concerne lâimportant sujet des reÌparations. Ensuite, ce traiteÌ de coalition ne satisfaisait personne, ce qui eut pour effet que nul nâen deÌfendit tous les articles.
Ceci est dâautant plus dommageable quâune fois le traiteÌ signeÌ, seule la solidariteÌ des vainqueurs aurait pu assurer la paix aÌ lâEurope. En somme, une guerre « baÌcleÌe » peut semer les graines de conflits futurs. Ce fut malheureusement le cas de la Grande Guerre et de son traiteÌ de Versailles...
Sélection bibliographique
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Cet article fait partie d’une sĂ©rie d’histoires parues initialement dans le magazine Traces de la SociĂ©tĂ© des professeurs d’histoire du QuĂ©bec (SPHQ).