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Du quotidien au musée
Les objets du quotidien et la culture populaire occupent une place enviable dans la programmation du Musée de la civilisation. Comme dans tout musée de société, ils contribuent à éclairer le passé et à interroger le présent. Ils font aussi partie intégrante de son projet de collectionnement, qui consiste à témoigner de la culture matérielle des occupants du territoire québécois. Tous les secteurs d’activités humaines sont conviés, de la vie domestique au monde du travail, en passant par les communications, les loisirs et bien d’autres. Ce programme est colossal. Et malgré le volume impressionnant des collections, des lacunes demeurent à combler pour mieux témoigner du passé et de l’évolution constante de la société.
Comme conservatrice, plusieurs questions m’habitent. Comment concilier la nature vivace des collections avec les limites d’espace d’entreposage? Parmi les objets ordinaires, lesquels choisir? Des questions qui se posent avec encore plus d’acuité pour les objets contemporains et que je vous propose d’approfondir en examinant quelques acquisitions récentes.
Passer dans l’entonnoir
Le déclin des communautés religieuses a entraîné une donation majeure des Soeurs de la Charité de Québec. L’objectif était de « rendre compte de l’histoire, des oeuvres et du charisme de la communauté ». Au total, plus de 4 000 objets accompagnés des archives de la communauté ont été acquis. Les objets communs, parce qu’ils font partie d’un ensemble cohérent et documenté, brossent un portrait étoffé du quotidien de cette communauté et de son apport majeur à la société québécoise dans les domaines de l’éducation, de la santé et des services sociaux.
La sélection répond à l’objectif fixé. Le filtre des critères habituels de représentativité, de polysémie, d’état de conservation, notamment, a été mis à profit dans le cadre d’une approche de sélection « généreuse ». Mais si d’autres communautés religieuses cognent à la porte du Musée pour assurer la pérennité de leur patrimoine, quelle sera la réponse? Des contraintes d’espace et la recherche d’un équilibre entre les secteurs de collection limiteront la sélection. Devant notre incapacité à tout transmettre aux générations futures, l’importance de bien choisir est une grande responsabilité. Je doute souvent. En dépit d’outils d’analyse, de politiques et de procédures régulièrement mis à jour, une part de subjectivité demeure.
Faire résonner le porte-voix
Comme jamais auparavant, les musées cherchent à refléter les modes de vie de l’ensemble des citoyens. Ils s’ouvrent à la diversité ethnoculturelle, socio-économique, régionale, religieuse, sexuelle, générationnelle ou liée à la santé. Au Musée de la civilisation, l’acquisition récente d’objets provenant de Lauberivière donne une place à un groupe socio-économique jusque-là absent des collections : les personnes en situation d’itinérance. En apparence d’intérêt limité, les objets retenus – mobilier de récupération, téléphone, panier d’épicerie, par exemple – prennent sens avec les témoignages qui les accompagnent. Ils ont été sélectionnés au terme d’un processus de cocréation avec des experts de vécus, des intervenants et l’équipe du Musée.
Cet exemple illustre la capacité d’objets banals à refléter les réalités sociales, dans la mesure où leur dimension humaine est révélée par des récits. Or l’importance du patrimoine immatériel m’amène à poser un regard critique sur les acquisitions passées, souvent arrivées en lot et faiblement documentées. Que faire avec les milliers d’objets silencieux entassés en réserve? Est-ce envisageable de les ignorer ou de les remplacer par des objets comparables mieux documentés?
Il m’apparaît plus judicieux de miser sur la documentation à rebours, par petits pas. Évidemment, cette approche ne donne pas accès à des récits personnels, mais les informations de base sur l’objet, tels sa fonction, sa datation, le nom et l’histoire du fabricant, sont essentielles pour l’éclairer. C’est un mandat d’envergure pour lequel il faut se donner le temps.
L’aliénation est considérée, avec prudence, pour les objets en mauvais état ou en multiples exemplaires. Est-il pertinent de conserver 800 rabots? J’hésite. Si une telle acquisition est impensable aujourd’hui, le collectionnement en série fait partie de l’histoire des collections.
« Ces longs bras-ciseaux m’ont permis d’accueillir mes proches avec des éclats de rire tout en respectant la recommandation de deux mètres. Mais rien ne remplacera le contact direct de la chaleur humaine. » – Aline Bernier
Regarder par la longue-vue
Un autre enjeu contemporain retient l’attention du Musée, celui de l’évolution rapide des technologies et de ses impacts sociaux. C’est ainsi qu’en marge de l’exposition Une histoire de jeux vidéo, un appel public sollicitant des dons de consoles et de jeux vidéo a été lancé. Quels jeux et consoles acquérir parmi la panoplie mise en marché depuis les années 1970? Le Musée a privilégié l’angle de la popularité au Québec et s’est allié le concours d’experts pour identifier les pièces à acquérir. Au total, 38 jeux et 14 consoles ont rejoint la réserve.
Cette collecte citoyenne était une première au Musée. La présence des jeux vidéo dans les maisonnées et la possibilité de recueillir des témoignages ont motivé ce choix. J’ai trouvé stimulant de formuler des objectifs d’acquisition précis, alors que le développement des collections est généralement tributaire des offres de don. J’en retiens qu’une conception idéale d’une collection devrait toujours précéder l’analyse des propositions d’acquisition.
En 2020, une collecte citoyenne dans un format plus ouvert a été réalisée pour témoigner de la pandémie de COVID-19. Les propositions ont été triées sur la base de catégories établies après leur réception. Des pots de conserve, un collier de chien et des couvrevisages, accompagnés de leur histoire, figurent au nombre des témoins retenus. L’ensemble rend compte de l’adaptation et de la créativité de la population. Si le manque de recul est flagrant, l’opportunité de recueillir des traces directes de cet événement était incontournable. Je me demande si nos successeurs partageront ce point de vue!
Pour revenir à la question de Jeu vidéo Tetris (Gameboy), 1989. départ « Doit-on sauvegarder des objets ordinaires? » Je réponds « Absolument ». Ils se doivent toutefois d’être exemplaires et justifiés. En entrant au musée, les objets acquièrent un statut particulier, un caractère patrimonial certain ou en devenir. Dans son essai L’objet contemporain de musée, un « objet sans qualités » ? le muséologue et sociologue français Jean Davallon souligne avec justesse : « L’artefact contemporain ne se résume pas à sa matérialité mais documente une portion de vie sociale qui est le véritable objet à patrimonialiser ».
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