Une médaille aux multiples facettes

Quand la science et la recherche lèvent des mystères.

Texte par Monique Benoit et Karine Léonard Brouillet

Mis en ligne le 13 décembre 2022

En 2018, le Site historique Marguerite-Bourgeoys contacte l’Institut canadien de conservation (ICC) avec une requête particulière : la restauration d’une médaille dévotionnelle de la Vierge Marie, datant de la première moitié du 17e siècle, qui était enfouie dans les fondations de la chapelle Notre-Dame-de-Bon-Secours dans le Vieux-Montréal depuis presque 300 ans. La médaille, conçue à partir d’une plaque d’impression recyclée, avait été insérée dans une pierre de fondation de la chapelle Notre-Dame-de-Bon-Secours, fondée par Marguerite Bourgeoys, au cours de la cérémonie de bénédiction de la première pierre ayant eu lieu le 30 juin 1675. Suivant la destruction de la chapelle dans l’incendie de 1754, la médaille est retrouvée et insérée de nouveau dans une pierre de fondation de la nouvelle chapelle construite en 1771.

Le renouvellement de l’exposition permanente entrepris en 2018 par le site historique sert alors de prétexte pour approfondir la recherche et mettre en branle la conservation-restauration de certains objets, parmi les plus précieux de ses collections, et qui sont destinés aux nouveaux espaces d’exposition. C’est ainsi que débute la collaboration avec l’ICC.

Un organisme de service spécial au sein du ministère du Patrimoine canadien, l’ICC comprend presque 40 conservateurs-restaurateurs et scientifiques qui collaborent avec des partenaires internationaux à l’avancement des techniques de conservation et de restauration de biens culturels.

L’Institut fait aussi progresser la conservation des collections patrimoniales du Canada et en fait la promotion grâce à son expertise en sciences de la conservation, en restauration et en conservation préventive. L’ICC œuvre à la préservation de ces collections patrimoniales et promeut leur accessibilité aujourd’hui et dans l’avenir.

La médaille dévotionnelle en question est redécouverte en 1945 lors de rénovations dans la voûte située au sous-sol de la Chapelle Notre-Dame-de-Bon-Secours, et retirée de la pierre de fondation. Elle est retrouvée en deux morceaux, son contour déformé, et elle comporte des trous de fixation sur sa périphérie. Ses deux parties sont ensuite montées sur un carton rembourré et décoré de bronzine, selon les modes de mise en exposition de l’époque. C’est ainsi qu’elle est exposée à partir de la seconde moitié du 20e siècle, ce qui explique le fait qu’aucune photographie de son envers n’existe.

À première vue, cette simple médaille en cuivre illustre une Vierge à l’Enfant écrasant un dragon (figuration du diable) et porte l’inscription suivante en négatif (traduite ici du latin): « Ô Vierge, ennemie des monstres, donne à l’indigent la main droite secourable, et il parcourra les mers. » L’élaboration d’un plan de traitement inclut un examen visuel suivi d’un examen scientifique, de recherches historiques, et de consultations avec le musée. Parce que la conservation du patrimoine est une priorité absolue lorsque l’on traite un objet, la première étape est d’observer sans toucher, avec toutes les méthodes et technologies disponibles. C’est ainsi que par la prise et l’analyse de radiographies numériques, l’ICC découvre que l’envers de la médaille, camouflé sous le carton rembourré, comporte des lignes semblant irradier d’un point commun. Cette découverte est rendue possible par la manipulation digitale des ombrages observés sur l’imagerie radiographique.

C’est un avantage de l’imagerie numérique que de pouvoir manipuler les contrastes pour voir à travers l’objet. De façon totalement inattendue, cette procédure mène à la découverte d’un cadran solaire de fabrication artisanale au dos de la médaille. Considérant qu’aucune image historique ni témoignage n’existe de cette partie de l’objet, c’est là une révélation de grande importance, soulevant de nombreuses questions quant à sa nature.

De ceci, l’on conclut que l’objet a servi au moins trois rôles dans son histoire : plaque d’imprimerie, cadran solaire et médaille dévotionnelle. L’on conclut donc que la médaille a commencé sa carrière dans l’imprimerie, probablement sur le vieux continent, pour ensuite être recyclée comme cadran solaire en Nouvelle-France et finalement comme médaille dévotionnelle insérée dans une pierre de fondation.

Avec l’accord du musée, l’ICC opte pour un plan de traitement permettant l’appréciation des deux côtés de l’objet et visant sa préservation et sa mise en valeur en tant que témoignage du passé. La restauratrice responsable du projet détache donc la plaque de son support de carton rembourré avant de la nettoyer. Un tel nettoyage implique le retrait des accrétions et croûtes de corrosion qui masquaient le cadran solaire, sans en abîmer la surface d’origine. La restauratrice a fabriqué sur mesure des outils adaptés au projet, qu’elle a ensuite utilisés de concert avec des instruments de dentiste, des micrograttoires et même une perceuse dentaire. Au cours de plus de 75 heures de travail minutieux sous binoculaire, le cadran solaire a progressivement révélé ses formes. Maintenant nettoyées, les deux parties de l’objet ont été réunies à l’aide d’un adhésif moderne.

Le travail de restauration physique est maintenant terminé, mais la recherche historique ne fait que commencer, car la plaque soulève plusieurs questions. Elle possède les caractéristiques d’une plaque d’imprimerie bien qu’elle ait été présente en Nouvelle France en 1675 quand l’imprimerie y était interdite, menant à des questions sur le contexte de son utilisation et de son arrivée au Nouveau Monde. La plaque est ensuite recyclée en cadran solaire, peut-être pour mesurer le temps entre les prières de la journée. Un principe intéressant des cadrans solaires est qu’ils doivent être calibrés selon un lieu géographique spécifique pour adéquatement représenter le passage du temps. Une investigation approfondie des caractéristiques du cadran solaire pourrait donc révéler une part de son origine. Un autre mystère est la nature et l’origine de l’inscription qui se trouve sur le cadran solaire.

La médaille est exposée au Site historique Marguerite-Bourgeoys situé dans le Vieux-Montréal. Le patrimoine documentaire au sujet de la chapelle est accessible au public sur le site du Répertoire du patrimoine culturel du Québec.

Les autrices aimeraient remercier Mylène Choquette (Technologue principale en documentation scientifique, ICC), Marie-Hélène Foisy (gestionnaire, ICC) et Stéphan Martel (Directeur adjoint et responsable de la recherche, Site historique Marguerite-Bourgeoys) pour leur contribution à cet article.

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