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Une opportunité manquée : la Rébellion canadienne (1837-38)
En novembre 1837, après une impasse politique qui a paralysé le Bas-Canada pendant des années, les membres les plus radicaux du Parti patriote — un parti politique réformiste composé principalement (mais non exclusivement) de Canadiens français — se sont révoltés contre le pouvoir britannique.
Souhaitant un gouvernement responsable et plus représentatif, les membres du parti ne croyaient plus que de telles réformes pouvaient être obtenues par des moyens pacifiques — le gouvernement britannique avait, jusque-là, rejeté la majorité de leurs demandes et avait même ordonné l’appréhension de plusieurs leadeurs du parti. Une rébellion armée était la dernière option.
Bien que l’insurrection ait commencé par une victoire des patriotes à Saint-Denis, les forces britanniques et loyalistes, beaucoup mieux armées, ont défait les patriotes à Saint-Charles et à Saint-Eustache. Entretemps, au Haut-Canada, William Lyon Mackenzie, Charles Duncombe et un groupe de réformistes, qui cherchaient également à obtenir un gouvernement responsable et plus représentatif, se sont révoltés.
Toutefois, au début de décembre 1837, ils sont défaits à la taverne Montgomery à Toronto et près de Brantford. Après ces défaites, plusieurs patriotes et réformistes se sont enfuis vers les États-Unis, et tout au long de l’année 1838, avec le soutien de plusieurs sympathisants américains, ils ont participé à de nombreux raids contre les forces britanniques et loyalistes des Canadas, aboutissant à deux défaites majeures en novembre et décembre 1838, mettant ainsi fin à la Rébellion canadienne.
Aujourd’hui, la Rébellion — du moins au Québec — continue d’être un des sujets les plus populaires de notre histoire, alors que plusieurs livres, articles et thèses d’études supérieures sont produits chaque année.2 De plus, les deux dernières décennies ont vu nos connaissances sur cet évènement s’accroitre.
Par exemple, de nombreux historiens tels qu’Andrew Bonthius, Michel Ducharme, Louis-Georges Harvey et Albert Schrauwers ont sorti la Rébellion du contexte canadien et l’ont placée dans des contextes transnationaux plus larges, tels que l’ère des Révolutions, l’Amérique jacksonienne, le monde atlantique et la diplomatie internationale. D’autres ont également remis en question plusieurs récits acceptés, tels que notre focalisation sur le conflit entre francophones et anglophones.3
Par exemple, Julien Mauduit et moi avons récemment publié un livre — Revolutions across Borders: Jacksonian America and the Canadienne Rebellion — qui situait la rébellion dans le contexte de la démocratie jacksonienne et démontrait, encore une fois, à quel point ce conflit n’était pas ethnique, mais politique, opposant les partisans du républicanisme (qui comprenait des Canadiens français, des Polonais, des Juifs, des Écossais, des Anglais, des Irlandais et des Américains) aux torys.4
L’historiographie de la Rébellion a donc subi d’énormes changements depuis les deux dernières décennies. Cependant, ces changements ont-ils eu un impact au-delà du monde universitaire ? Dans une mémoire de maitrise de 2015, Jonathan Larocque a analysé la représentation de la Rébellion dans les manuels scolaires du Québec entre 1982 et 2006 et a trouvé que ceux-ci racontaient une histoire obsolète.5
Depuis l’analyse de Larocque, il y a eu beaucoup de changements, incluant la parution de nouveaux manuels et une réforme du cours Histoire du Québec et du Canada (2e cycle du secondaire) en 2017. Dans ce court texte, j’analyserai la représentation de la Rébellion dans ces nouveaux manuels scolaires, dont plusieurs sont issus de cette récente réforme.
Toutefois, j’irai plus loin et je comparerai avec les manuels les plus récemment approuvés par les gouvernements de l’Ontario et de l’Alberta. D’abord, je démontrerai que même si les manuels scolaires du Québec racontent une histoire plus mise à jour, tous souffrent généralement des mêmes lacunes.
Deuxièmement, je démontrerai que la place que la Rébellion occupe dans les manuels scolaires représente la place qu’elle a dans nos identités collectives conflictuelles. Et enfin, je conclurai avec quelques remarques expliquant pourquoi je pense que nous devons repenser la façon d’enseigner le sujet de la Rébellion dans les écoles secondaires du Canada.
La mémoire collective et la Rébellion
Au Québec, la Rébellion est un des éléments les plus importants de notre histoire et de notre identité collective. Le terme « Rébellion » est partout au Québec : il est dans de nombreuses chansons, pièces de théâtre, poèmes et il est même célébré avec une bière, la 1837 d’Unibroue. Et pendant que dans le reste du Canada on célèbre Victoria Day, au Québec, chaque année, on célèbre plutôt la Journée nationale des patriotes.
Nos librairies sont également remplies de livres à ce sujet. Ces livres, cependant, se concentrent presque entièrement sur le Québec et présentent la Rébellion comme une bataille entre les Canadiens français et les Britanniques. La dernière monographie qui s’adresse au grand public, La brève histoire des patriotes de Gilles Laporte, en est un exemple parfait.
Pour Laporte, dont les livres sont devenus le récit dominant au Québec, la Rébellion était beaucoup plus qu’une simple poussée pour une réforme gouvernementale, c’était un mouvement nationaliste et de protestation canadienne-française dont le but était de se débarrasser des chaines de la domination britannique.
« En se portant à la défense d’une majorité historique de langues et de cultures françaises », explique Laporte, « les patriotes sont amenés à réclamer des droits que nous jugeons aujourd’hui fondamentaux ». Cette perspective s’inscrit bien dans le cadre du nationalisme québécois, qui est ancré sur l’importance de la culture et de la langue des Québécois.e.s.
Hors du Québec, c’est le contraire : la Rébellion n’est pas un élément important de l’identité canadienne-anglaise. Il n’y a pas de jour férié célébrant la Rébellion au Haut-Canada. Elle n’est pas célébrée de la même façon dans des pièces de théâtre, des livres, ou des poèmes. De plus, la Rébellion a pratiquement disparu de leur historiographie.
Limitée à quelques articles et manuscrits extra-universitaires, il y a déjà trente ans que Colin Read a écrit The Rising in Western Upper Canada, 1837-1838. Ce livre est non seulement l’un des derniers manuscrits universitaires sur ce sujet, mais ceux qui l’ont lu se souviendront qu’il ne donne pas une image très positive de la Rébellion.
Et tout comme Laporte au Québec, ce livre est devenu le récit dominant au Canada anglais. Mackenzie, Duncombe et leurs partisans sont décrits comme des radicaux marginalisés, désorganisés et sans soutien réel. La Rébellion est décrite comme une anomalie, tout d’abord menée par Mackenzie pour réaliser un coup d’État impopulaire et ensuite par des Américains envahisseurs durant la Patriot War. Selon plusieurs historiens, l’importance de la Rébellion est minimisée, car elle ne correspond pas à l’image d’un Canada anglais loyal à l’empire.6
La Rébellion dans les manuels scolaires au Canada
Les manuels d’histoire sont une partie importante de l’identité collective d’une nation : ils nous permettent de comprendre comment une population se perçoit et se situe dans l’histoire et ils peuvent nous aider à comprendre leurs valeurs et leurs principes. Ceci est particulièrement vrai pour les manuels scolaires sanctionnés par nos gouvernements provinciaux.7
Or, la place que la Rébellion occupe dans les manuels scolaires à travers le Canada représente très bien les identités collectives très différentes que nous trouvons au Québec et au Canada anglais. Et une analyse de ceux-ci va parfaitement refléter ce que je viens de décrire. Puisque la Rébellion est un élément important de l’identité québécoise, elle prend beaucoup de place dans les manuels scolaires du Québec.
Toutefois, comme elle n’est pas une partie importante de l’identité canadienne-anglaise, elle en prend comparativement beaucoup moins. Néanmoins, ces manuels souffrent tous des mêmes lacunes : ils racontent une histoire très locale alors que la dimension ethnique et nationaliste du conflit est au centre du récit.
Québec
Au Québec, la Rébellion est enseignée en troisième secondaire et pour ce texte, j’ai considéré quatre manuels approuvés par le gouvernement : Mis-à-Jour : Histoire du Québec et du Canada ; Mémoire.qc.ca : Des origines à 1840 ; Périodes : Histoire de Québec et du Canada, des origines à 1840 et Chroniques du Québec et du Canada : des origines à 1840.
Même si la Rébellion est bien représentée dans ces manuels — certains couvrant souvent plus de 100 pages — ils ne reflètent pas tous une historiographie mise à jour, alors que certains racontent encore une histoire obsolète. Ainsi, les connaissances de nos étudiant.e.s sur cet évènement dépendent du livre qui a été assigné par leur commission scolaire.
Bien que certains abordent le sujet de manière plus complexe, d’autres continuent de raconter une histoire strictement locale, se concentrant sur le conflit ethnique entre Canadien français et Britanniques. Ceci est particulièrement le cas avec Mis-à-Jour, où la Rébellion est décrite comme un conflit opposant le « nationalisme canadien » et le « nationalisme britannique » et que « le fossé se creuse entre les Canadiens francophones et anglophones ».8
Ignorant le rôle du contexte international, les causes de la Rébellion sont ancrées dans le contexte local, mettant l’accent sur l’immigration irlandaise et britannique, les crises agricoles et le conflit politique entre le Parti patriote et le Parti britannique.
Dans le cas de Mémoire.qc.ca, bien qu’il traite de la Rébellion de manière plus complexe en offrant une brève mention du contexte transnational et en déclarant qu’à « compter du milieu des années 1830, [les patriotes] se tournent vers d’autres modèles politiques, tel celui des États-Unis », ceci reste une histoire locale.9
Il n’y a aucune mention des nombreuses révolutions qui ont eu un impact majeur sur les patriotes. On continue également de représenter le mouvement patriote comme un mouvement exclusivement canadien-français. Le Parti patriote représente la « nation » canadienne-française — qui est toujours définie par la religion, la culture et la langue — et l’affirmation des « revendications » des Canadiens français qui a joué un rôle primordial dans la Rébellion.10
Les manuels qui représentent le mieux une historiographie plus moderne sont Périodes et Chroniques. Ces manuels peignent la Rébellion de façon beaucoup plus complexe et nuancée. En particulier, ils ne se limitent pas au contexte local, mais placent la Rébellion dans le contexte transnational.
Bien sûr, le contexte local domine, mais ceux-ci proposent une discussion plus approfondie, quoique brève, sur l’impact de mouvements transnationaux. Par exemple, dans Chroniques, il y a une discussion sur les « mouvements de libération nationale » qui ont marqué l’ère des révolutions.
L’influence du républicanisme et du libéralisme est mentionnée, ainsi que les mouvements populaires de Saint-Domingue, de Colombie, d’Argentine, de Pologne et de Belgique : « Les valeurs qui soutiennent ces mouvements de libération sont rapportées par la presse écrite au Bas-Canada. Elles suscitent l’intérêt des députés canadiens, mais aussi de la population de la colonie ».11
D’autre part, Périodes propose une discussion plus nuancée du conflit exclusivement ethnique proposée par Mis-à-Jour et Mémoire.qc.ca. Par exemple, dans sa section sur l’assemblée des six comtés, il y a une courte discussion des couleurs sur le drapeau patriote.
Alors que le blanc représente les Canadiens, le rouge les Britanniques et le vert les Irlandais, « le drapeau symboliserait le fait que les idées des patriotes rassemblent des gens de toutes ces communautés ».12 De plus, des personnages anglophones, tels que les frères Nelson — Robert et Wolfred — sont bien présentés comme leadeurs du mouvement.13 Robert Nelson est même décrit comme celui qui a déclaré l’indépendance du Bas-Canada en 1838.
Toutefois, malgré ces nuances, la dimension ethnique et nationaliste du conflit domine toujours dans Périodes et Chroniques. Les tensions sont souvent décrites entre « la population canadienne et celle d’origine britannique » et le mouvement patriote est défini par l’affirmation du « nationalisme canadien » et des « revendications » des Canadiens français, dont « la protection de la langue française et du droit français » et « l’accès d’un plus grand nombre de Canadiens aux postes de fonctionnaires ».14
Et bien que ces deux manuels mentionnent les frères Nelson, ceux-ci restent des anomalies. Le mouvement est décrit en termes franco-canadiens. Reconnus pour porter la ceinture fléchée, « les patriotes se sont donc réapproprié le costume de l’habitant canadien […] pour affirmer leur identité canadienne-française, en opposition aux élites anglophones qui détiennent le pouvoir ».15
Ceci n’est peut-être pas surprenant, car les demandes du programme Histoire du Québec et du Canada de troisième et de quatrième secondaire ciblent le concept du nationalisme « canadien » et les tensions entre anglophones et francophones lorsqu’il est question de la Rébellion.16
En proposant une vision dépassée de notre histoire, le programme a un impact direct sur les manuels d’histoire, car ceux-ci doivent suivre le programme pour être approuvés. Et bien que le contexte transnational soit considéré, il est limité à un ou deux paragraphes.
Un élément important manque ; c’est une discussion du soutien massif que le mouvement a reçu de la population américaine, alors que des milliers d’entre eux ont joint les loges des Chasseurs en 1838 pour libérer les Canadas de l’emprise britannique. Une réalité connue des historiens depuis déjà plus d’un siècle.17
Ontario
En Ontario, la Rébellion est enseignée en septième année (1re secondaire) et le seul manuel d’histoire figurant sur la Liste Trillium du ministère de l’Éducation de l’Ontario, une liste qui comprend tous les manuels scolaires approuvés par le gouvernement, est Nelson History 7, publié en 2016.
La première chose qu’on remarque est que la Rébellion n’occupe pas la même place comparativement aux manuels du Québec : Nelson History 7 n’offre que 25 pages à ce sujet. Ceci n’est pas très surprenant puisqu’elle n’occupe pas la même place dans l’identité collective des Ontariens. De plus, il ne reflète pas le même niveau de nuance.
En fait, le chapitre « What Caused Unrest in Upper and Lower Canada ? » débute de façon surprenante avec une discussion de l’Irlandais Daniel Tracey, le rédacteur en chef du Vindicator, un journal patriote, et de son rôle dans le mouvement.18 Au lieu d’avoir choisi Ludger Duvernay ou Étienne Parent, deux importants rédacteurs en chef francophones, le manuel a choisi Daniel Tracey pour introduire la Rébellion.
Ceci est une décision très intéressante qui aurait pu mener à une discussion fructueuse sur la composition ethnique du mouvement. Cependant, alors que l’histoire avance, le conflit entre francophones et anglophones devint le point central du récit. Le Parti patriote est encore une fois défini par l’affirmation de l’identité culturelle canadienne-française et des intérêts des Canadiens français.
D’un côté, il y a la Clique du Château, ou le « English-speakers », qui se battait pour conserver son pouvoir économique et politique et de l’autre, le Parti patriote qui soutenait que « ce sont les francophones, et non les Britanniques, qui devraient contrôler le Bas-Canada ».19
La confrontation entre les Fils de la liberté et le Doric Club du 6 novembre 1837 est même décrite comme une émeute entre « réformateurs français » et « loyalistes britanniques », ignorant le fait que d’importants patriotes anglophones, tels qu’Edmund Bailey O’Callaghan, étaient présents et que les domiciles de patriotes anglophones, comme T.S. Brown, Joshua Bell et Robert Nelson, ainsi que les bureaux du Vindicator, ont été détruits.20
Et bien qu’il y ait quelques mentions du Dr Wolfred Nelson, il apparait comme une rare exception, sans explications sur l’appui d’un anglophone à un mouvement « francophone. »
La Rébellion est également ancrée dans le contexte local. Par exemple, le chapitre « Demands for Change : 1837-1850 » débute par une image d’un des moments les plus emblématiques de la Rébellion : l’assemblée des six comtés d’octobre 1837. Toutefois, un des éléments les plus importants est coupé : le drapeau américain.
Le drapeau français est conservé, mais sans drapeau américain, on n’a pas le même impact visuel. Cela aurait été une excellente occasion de discuter du contexte transnational. L’influence des révolutions française et américaine est brièvement mentionnée, mais les divers mouvements qui ont marqué l’ère des révolutions et l’influence du libéralisme et du républicanisme ne le sont pas.
L’accent est donc placé sur le contexte interne : les mauvaises récoltes, les difficultés économiques dans les colonies et la structure politique coloniale.
Alberta
Enfin, en Alberta, la Rébellion est également enseignée en septième année (1re secondaire) et le manuel que j’ai considéré est Voices and Visions : A Story of Canada, un des deux manuels approuvés par le ministère d’éducation de l’Alberta. Il n’est peut-être pas surprenant que la Rébellion soit limitée à seulement dix pages : elle figure encore moins dans la mémoire collective des Albertains.
L’histoire que ce manuel raconte est donc très vague, peu détaillée, elle ignore plusieurs moments, contextes et personnages importants et reflète une historiographie encore plus obsolète. Les causes de la Rébellion ne sont que très brièvement décrites et se limitent à une mention du système politique colonial, du pouvoir politique limité de l’Assemblée législative et de l’autorité absolue du gouverneur général et de ses alliés (la Clique du château et le Family Compact).
Il s’agit donc d’une histoire très politique, sans aucune mention des crises économiques ou des changements intellectuels et sociaux majeurs qui ont eu lieu dans les colonies. C’est une histoire également très locale, sans mention d’évènements transnationaux importants, tels que les révolutions française et américaine ou la montée du libéralisme et du républicanisme au 19e siècle.
Les racines du conflit sont également ethniques. D’un côté, il y a le gouverneur et ses conseils exécutifs et législatifs composés des « anglophone friends and relatives of the governor ».21 De l’autre, il y a le Parti patriote, dirigé par Louis-Joseph Papineau, qui exhortait les masses canadiennes-françaises à prendre les armes contre les Britanniques.22
Discutant des causes de la Rébellion, et plus précisément le pouvoir limité de l’Assemblée législative, le manuel ajoute que la situation « était particulièrement frustrante au Bas-Canada parce que les francophones étaient gouvernés par des anglophones ».23 Et contrairement à tous les autres manuels, on ne fait même pas mention d’un des frères Nelson !
Conclusion
En comparaison des manuels de l’Alberta et de l’Ontario, ceux du Québec — particulièrement Périodes et Chroniques — passent donc beaucoup plus de temps sur la Rébellion et par conséquent, ils sont plus représentatifs de l’historiographie actuelle. Ils considèrent, quoique brièvement, le contexte transnational et nuancent la dimension ethnique du conflit.
Toutefois, en général, tous les manuels partagent les mêmes lacunes : la dimension ethnique et nationaliste du conflit domine et ils racontent surtout une histoire locale. C’est pourquoi, comme mentionné en introduction, je pense que nous devons repenser la façon d’enseigner le sujet de la Rébellion dans les écoles secondaires du Canada.
Tout d’abord, la Rébellion peut offrir un très bon exemple de multiculturalisme au Canada. La Rébellion n’était pas un conflit entre francophones et anglophones. C’était un évènement multiculturel, opposant les partisans de la réforme, de la démocratie et du républicanisme à une élite conservatrice qui luttait pour conserver son autorité absolue sur la colonie.
Et les partisans de la réforme n’étaient pas seulement Canadiens français, mais également Suisses, Irlandais, Écossais, Anglais, Juifs, Polonais et même autochtones. Par exemple, on oublie souvent à quel point la Déclaration d’indépendance du Bas-Canada de 1838 du Dr Robert Nelson était progressiste pour l’époque.
Les populations autochtones, selon la déclaration, « jouiront des mêmes droits que les autres citoyens de l’État du Bas-Canada ».24 En fait, Périodes termine même son chapitre sur la Rébellion avec une brève mention que les Abénaquis auraient appuyé les patriotes.25 Or, comme nos salles de classe deviennent de plus en plus multiculturelles, il est important que nous allions au-delà du récit canadien dominé par les colons français et anglais.
Deuxièmement, alors que notre monde se globalise et est de plus en plus connecté, les phénomènes transnationaux ont une influence importante sur le Canada et parallèlement, le Canada a un impact important sur les phénomènes transnationaux.
Nous faisons partie d’un système mondial complexe qui nous affecte tous les jours et il est important que nous comprenions son impact sur notre histoire. La Rébellion fournit un exemple parfait pour étudier cette question. Les réformateurs et les patriotes n’étaient pas simplement influencés par le contexte social, économique et politique local, mais ils ont été influencés par les mouvements et les idéologies transnationaux de l’ère des révolutions et du monde atlantique.
De plus, la Rébellion a eu un impact majeur en dehors du Canada et a même mené à des changements sociopolitiques importants aux États-Unis. Elle offre donc une excellente occasion d’étudier la place du Canada dans le monde.
Enfin, elle est un moment clé dans l’édification de la nation canadienne. Bien que, dans la perspective d’une insurrection armée, elle soit peut-être considérée comme un échec — si on considère la défaite des Britanniques comme le seul objectif —, elle a tout de même été un moment majeur dans l’édification de la nation canadienne. Les objectifs des réformateurs ont survécu et les plus modérés, comme Robert Baldwin et Louis-Hippolyte La Fontaine, ont continué à collaborer pour réclamer un gouvernement responsable, qu’ils ont finalement obtenu à la fin des années 1840.
Et comme nous le savons tous, cette victoire a préparé le terrain pour la Confédération canadienne deux décennies plus tard. Pourtant, Louis-Joseph Papineau, Robert Nelson et William Lyon Mackenzie sont des noms que l’on voit rarement dans les manuels scolaires lors des discussions sur l’édification de la nation canadienne.
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Cet article fait partie d’une série d’histoires parues initialement dans le magazine Enjeux de l’univers social de l’Association québécoise pour l’enseignement de l’univers social (AQEUS).