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Mission impossible
Mis à part l’exposition universelle de 1851 à Londres et celle de 1889 à Paris, aucune exposition n’avait jamais produit une telle détonation dans son pays hôte et dans le monde. Expo 67 a attiré plus de 50 millions de visiteurs, une performance remarquable pour un pays qui ne comptait alors que 20 millions d’habitants. Elle a réuni 62 nations : un record. Expo 67 a marqué son temps par son ambition avant-gardiste et humaniste, qui a « donné au mot Canada un sens nouveau », écrivait Robert Fulford en 1968 dans Portrait de l’Expo.
Mais Expo 67 fut d’abord une sorte de miracle. Car ses organisateurs n’ont eu que quatre ans et demi pour préparer — au lieu des sept prévues.
La faute en revient d’abord à… Moscou, désignée ville hôtesse de l’exposition universelle de 1967 par le Bureau international des expositions (BIE) en mai 1960 — en prévision du cinquantenaire de la révolution russe. (La candidature canadienne avait été défaite au cinquième tour par 14 voix contre 16.) Mais deux ans plus tard, l’Union soviétique se désiste, officiellement à cause des coûts — officieusement, par crainte de la propagande capitaliste.
Le maire de Montréal, Jean Drapeau, convainc le premier ministre Diefenbaker de reprendre le projet, qui coïncidera avec les fêtes du centenaire de la Confédération. Le 13 novembre 1962, le BIE vote unanimement en faveur de la candidature canadienne : l’Exposition universelle de 1967 ouvrira ses portes à Montréal le 28 avril 1967 — dans quatre ans, cinq mois et 15 jours.
Le comité organisateur se heurte rapidement au problème du site. Où trouver 5 km2 près du centre-ville et des principales voies d’accès ?
Alors que le comité organisateur considère une demi-douzaine d’options, le maire Jean Drapeau chamboule tout avec une annonce ambitieuse : Expo 67 se tiendra au milieu du fleuve… sur une île qui n’existe pas encore ! Il s’agit de remblayer une série d’îlots et de frayères pour agrandir l’île Sainte-Hélène et créer de toute pièce une île de 2 km2, la future île Notre-Dame.
L’idée n’est pas aussi fantaisiste qu’il y paraît : elle permet d’éviter complètement la spéculation immobilière tout en donnant à l’Expo le plus beau site possible. Mais elle ajoute une difficulté herculéenne à un échéancier quasi impossible : il faudra 11 mois et un million de voyages de camion pour empiler les 28 millions de m3 de roc et de terre !
Contre l’avis des organisateurs, Drapeau persuade Ottawa et Québec que son idée est la meilleure. Mais lorsque débutent les travaux en août 1963, les deux dirigeants du comité organisateur, Paul Bienvenu et Cecil Carsley, démissionnent ! Même l’ordinateur du prestigieux Institut Stanford, en Californie, a prédit que l’Expo ne pouvait être prête avant 1968, voire 1969. La majorité du public et des dirigeants politiques croient qu’il faut tout reporter ou annuler. Expo 67 ne va plus nulle part.
Expo 67 sera sauvée par ses deux nouveaux dirigeants, nommés début septembre. Le nouveau commissaire général, l’ambassadeur Pierre Dupuy, a travaillé plusieurs années au BIE, ce qui en fait l’un des meilleurs spécialistes de ce genre d’événement. Quant au sous-commissaire général, l’ingénieur Fletcher Shaw, il dirige la plus grande firme de génie au Canada, ce qui en fait la meilleure personne pour voir à toute l’intendance, y compris la construction.
Ce tandem relance Expo 67 en lui insufflant l’optimisme, selon le journaliste Raymond Grenier dans un livre précurseur publié en 1965, Regard sur l’Expo. Dupuy et Fletcher sont catégoriques : le choix des îles est la meilleure décision sur le plan de l’ingénierie, de l’esthétique et de la vente de l’événement. Expo 67 aura bien lieu en 1967 !
Ils mettent en place un comité organisateur qui rassemble six francophones et quatre anglophones. Sa composition est inusitée puisqu’ils sont tous bilingues et égaux. Selon Diana Thébault Nicholson, qui travaillait alors au protocole et à l’exploitation, et qui agissait comme porte-parole, il était alors plus courant de voir des francophones travailler sous les ordres des anglophones. « Cette égalité était la chose la plus remarquable. »
Ce comité prendra un surnom un peu spécial : les « Durs », par sa volonté inflexible de réaliser l’Expo et d’imposer ses décisions, même au gouvernement. En décembre 1963, le premier ministre Pearson apprend avec stupeur que le budget est passé de 40 millions à 167 millions de dollars — il n’en sera pas moins adopté, par une seule voix de majorité ! L’opposition féroce aura beau attaquer le choix de l’emblème, de la chanson officielle, des uniformes des hôtesses, rien à faire : les « Durs » n’en font qu’à leur tête. Alors que le climat social est aux revendications, ils obtiendront même la paix syndicale pour la durée des travaux.
Mais ils emprunteront plusieurs idées à Disneyland. Car Expo souhaite léguer à Montréal un parc d’attractions permanent : la Ronde. Philippe de Gaspé Beaubien, le directeur de l’Exploitation et futur « maire de l’Expo » chargé de son déroulement, obtiendra même une rencontre avec Walt Disney en personne. « Je lui ai dit : “Votre grand-père est né au Canada. Accepteriez-vous d’aider des Canadiens qui ne connaissent absolument rien dans le domaine des parcs d’attractions.” »
En juillet 1964, la ville de Montréal remet officiellement les îles au comité organisateur… Il ne reste que deux ans et neuf mois — 1015 jours ! — pour réaliser un cahier de charge invraisemblable. Il faut construire 847 pavillons et bâtiments, 27 ponts, 75 km de routes et trottoirs, 40 km d’égouts, 150 km de canalisations, 25 000 places de stationnement, 256 bassins et 6150 lampadaires.
Tout repose sur les épaules du directeur des Installations, le colonel Edward Churchill, qui coordonnera plus de 6000 ouvriers. Pendant la Seconde Guerre mondiale, ce militaire manitobain avait contribué à l’avance alliée en travaillant à la construction de 192 aéroports. Toujours bien de son temps, Edward Churchill emprunte une technique d’organisation mise au point par la NASA : la méthode du chemin critique. « Cette technique très nouvelle à l’époque consiste à distribuer le travail de telle sorte qu’on pouvait construire 178 ou 180 pavillons à la fois, en même temps », se rappelle le directeur des Relations publiques, Yves Jasmin.
Grâce à des suivis informatiques à la fine pointe, Churchill sera en mesure de commander tout le matériel d’un seul coup, de bâtir toutes les fondations et infrastructures d’une traite et de coordonner toute la construction d’une centaine de bâtiments à la fois dans un ordre très précis. Dès l’hiver 1965, il plante déjà les arbres !
À l’automne 1966, les pavillons sont presque tous terminés et les exposants commencent à s’installer, tandis que la ville de Montréal démarre son métro flambant neuf et ouvre ses nouvelles autoroutes. Expo 67 sera prête à temps...
Mais la veille de l’inauguration, le gazon est encore jaune à cause d’un mois d’avril exceptionnellement froid. Le chef du service horticole, un certain Pierre Bourque (futur maire de Montréal), fait teindre le gazon en vert… Expo 67 ne sera pas seulement livrée à temps : elle sera parfaite !
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