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Plaisir d'amour et Ave Maria
Jean-Philippe : Pouvez-vous nous renseigner un peu sur l’auteur ainsi que les paroles de cette chanson?
Maureen : Plaisir d’amour est un poème de Jean-Pierre Claris de Florian, auteur dramatique, romancier, poète et fabuliste français né en 1755 au château de Florian dans les basses Cévennes. Officier de dragons, il est un des familiers du château de Sceaux et le protégé de Voltaire, allié de sa famille.
C’est le grand succès de ses fables qui lui vaut d’entrer, à trente-trois ans, à l’Académie française. En tant que fabuliste il est souvent comparé à Jean de la Fontaine, l’égalant ou le surpassant pour certains.
Banni de Paris en 1793 pendant la Révolution, Jean-Pierre Claris de Florian est arrêté et emprisonné. Relâché après le 9 Thermidor, il meurt des souffrances endurées pendant sa détention, une année après, âgé de trente-neuf ans.
C’est dans sa nouvelle, Célestine, publiée à Paris en 1784, qu’on retrouve la romance Plaisir d’amour qui est introduite ainsi : « … elle entendit au bas de la grotte le son d’une flûte champêtre, elle écoute : et bientôt une voix douce, mais sans culture, chante sur un air ces paroles : »
Plaisir d’amour ne dure qu’un moment;
Chagrin d’amour dure toute la vie.
J’ai tout quitté pour l’ingrate
Sylvie : Elle me quitte, et prend un autre amant.
Plaisir d’amour ne dure qu’un moment;
Chagrin d’amour dure toute la vie.Tant que cette eau coulera doucement
Vers ce ruisseau qui borde la prairie,
Je t’aimerai, me répétoit
Sylvie : L’eau coule encore; elle a changé pourtant.
Plaisir d’amour ne dure qu’un moment;
Chagrin d’amour dure toute la vie.
Jean-Philippe : Et qui a mis cette romance en musique?
Maureen : Le compositeur d’origine allemande Jean-Paul-Gilles Martini, qui a été charmé par ce poème. Né en 1741, Martini est connu principalement pour ses opéras, ses chansons et ses œuvres vocales sacrées. Il est le premier à remplacer la basse continue par le clavier obligé dans les accompagnements de chansons.
Ses collections de romances et chansons sont des modèles importants dans les années 1780 et plus tard. Connue alors sous le nom de Romance du chevrier, c’est au cours de la première moitié du 19e siècle qu’elle prend le nom de son incipit Plaisir d’amour.
Cette chanson fait partie de sa première collection et demeure importante dans le répertoire; sa douce mélancolie et sentimentalité sont appariées par une ligne vocale doucereuse et un accompagnement discret mais efficace. Son succès est tel que Berlioz lui-même en réalise un arrangement pour petit orchestre en 1859.
Très populaire dans les cafés-concerts à la fin du 19e siècle, elle est aussi enregistrée par les plus grands interprètes du genre dont Yvonne Printemps en 1931, Tino Rossi en 1955 et même Joan Baez en 1961.
Jean-Philippe : L’enregistrement que nous venons d’écouter est de la mezzo-soprano Madeleine Cardinal et du baryton Louis Chartier.
Maureen : Oui, justement. Cependant, il faut aussi mentionner que l’enregistrement est une transcription et harmonisation du compositeur français Henry Février.
Malheureusement, nous ne connaissons que très peu la soprano québécoise Madeleine Cardinal sauf qu’elle a 10 enregistrements sonores à son nom, tous publiés à New York par la compagnie Columbia Graphophone pendant les années 1920 et 1921. Des articles de journaux nous révèlent qu’elle a fait carrière non seulement au Québec mais aussi aux États-Unis.
Nous ne connaissons pas les dates de naissance et de décès de Louis Chartier mais d’après les informations disponibles, sa carrière était en pleine croissance entres les années 1914 et 1930. Il a fait carrière principalement à Montréal, où il ouvra un studio, mais il a chanté aux États-Unis en 1920 et 1921 à Detroit, Burlington, Fall River, Springfield et Worcester.
Nous pensons que Chartier est décédé aux États-Unis vers 1970. Il a enregistré 38 chansons, airs et duos sur disques Brunswick, deux sur Melotone et 38 sur Columbia dont plusieurs duos avec Blanche Gonthier et Madeleine Cardinal.
Jean-Philippe : Et l’enregistrement lui-même?
Maureen : Cet enregistrement de Plaisir d’amour a été enregistré et lancé en 1921 par la Columbia Graphophone Company à New York sur disque 78 tours.
Jean-Philippe : Parmi les prières en l’honneur de la Sainte Vierge Marie, aucune n’est aussi connue et répandue dans toute la chrétienté que l’Ave Maria. Pouvez-vous élaborer?
Maureen : C’est à partir du VIIIe siècle que plusieurs conciles en France, en Espagne, en Angleterre et en Germanie proposèrent cette prière au peuple chrétien : elle faisait partie de celles que tout fidèle devait connaître.
Les moines cisterciens et les religieux dominicains contribuèrent très activement à sa diffusion. Saint Bonaventure et Saint Thomas d’Aquin reprirent aussi cette prière dans leurs traités. Sa teneur, d’une grande simplicité, en facilite partout l’emploi, tant en public qu’en privé.L’Ave Maria se compose de deux parties distinctes, d’origine différente. La première moitié est constituée des salutations de l’ange Gabriel et d’Élisabeth à Marie, empruntées à l’évangile de Saint Luc (chapitre 1), dans les récits de l’Annonciation (verset 28) et de la Visitation (verset 22). Formant maintenant un tout, ces deux salutations ont été rapprochées en une seule formulation qu’on trouve déjà à partir du Ve siècle dans les liturgies grecques.
La seconde partie est composée de demandes à Marie, ajoutées à partir du XVI e siècle. Dans un bréviaire édité à Paris en 1509, il est prescrit qu’au commencement de l’office, après le Pater Noster, on dira l’Ave Maria en y ajoutant : « Sainte Marie, Mère de Dieu, priez pour nous pauvres pêcheurs, maintenant et à l’heure de notre mort ».
Cette formule a prévalu peu à peu, après l’adoption du pape Pie V en 1568, du nouveau bréviaire romain où elle est mise en bonne place. Au début du XVII esiècle, elle est en usage dans toute l’Église.
Jean-Philippe : L’Ave Maria a été mis en musique de nombreuses fois.
Maureen : Oui mais parmi les plus célèbres, il faut citer la version de Charles Gounod (1859) dont l’origine est le premier prélude du premier livre du Clavier bien tempéré de Jean Sébastien Bach. L’enregistrement que nous avons choisi d’écouter aujourd’hui est de cette version.
C’est en effet une curiosité dans l’histoire de la musique — une collaboration musicale entre deux grands compositeurs dont les vies ne se sont pas chevauchées. C’est une chanson dont la mélodie est écrite 130 ans après son accompagnement.
Gounod, fiancé à Mlle Anna Zimmermann, fille de l’inspecteur général des études au Conservatoire impérial de musique de Paris, allait souvent dîner chez des amis avec sa fiancée et ses parents. Régulièrement il attendait dans le salon familial en improvisant au piano.
Un jour son futur beau-père, pianiste réputé et professeur de Bizet, entend Gounod improviser sur le premier prélude de Bach en do majeur, une mélodie qu’il juge ravissante. Gounod le répète une seconde fois et Zimmermann s’empresse de la noter, puis quelques jours plus tard, il la fait entendre à Gounod, jouée par un violon, une quinte au-dessus, et soutenue par un petit chœur.
C’est ainsi qu’est née la Méditation sur un prélude de Bach qui par la suite, on verra comment, devient la fameuse Ave Maria, que Gounod n’écrit donc pas, mais qui a tant fait pour sa popularité. Ajoutons que Zimmermann, qui avait conclu l’affaire avec un éditeur, remit à Gounod une somme de deux cents francs pour l’achat de l’œuvre.
Mais l’histoire n’est pas finie! Nous sommes en 1852, Gounod, séduit par la tendre mélancolie de quelques vers d’Alphonse de Lamartine, et porté peut-être à en attribuer le sens à une certaine... Rosalie pour laquelle il ressentait une vive et discrète admiration, eut l’idée d’adapter à la fameuse mélodie les vers suivants de Lamartine :
« Le livre de la vie est le livre suprême. Qu’on ne peut ni fermer ni ouvrir à son choix. Le passage adoré ne s’y lit qu’une fois. Le livre de la vie est le livre suprême. On voudrait le fixer à la page où on l’aime. Mais le feuillet fatal se tourne de lui-même. Et la page où l’on meurt est déjà sous les doigts. »
Les prémices de cette adaptation où la musique exprimait si merveilleusement les paroles, sont apportées à Rosalie à laquelle elles sont dédiées.
Cependant la belle-mère de Rosalie, Aurélie, dont la piété s’effraye de la tendresse croissante de Gounod, peut craindre qu’un sentiment si contagieux n’atteigne sa fille dont Gounod ne se lassait pas d’entendre la voix divine.
Fort embarrassée et n’osant faire allusion à ses craintes ni auprès de Gounod, ni auprès de sa belle-fille, Aurélie eut l’idée ingénieuse de se servir de la religiosité accentuée de Gounod pour lui faire substituer à ces paroles profanes un texte moins compromettant.
Elle porta son choix sur l’Ave Maria et essaie d’écrire au-dessous des vers du poète, les paroles latines. À part les premiers mots qu’elle ne parvient pas à faire entrer dans le thème musical, le reste est assez satisfaisant. Elle montra donc son adaptation à Gounod qui s’en enthousiasma d’autant mieux que sa finesse d’esprit ne lui permet pas de se méprendre sur les intentions secrètes qui avaient poussé Aurélie à cette substitution.
Il retouche la version nouvelle et c’est de la sorte que les strophes exquises de Lamartine si harmonieusement adaptées au Prélude de Bach font place à la prière de l’Ave Maria, fort étonnée sans doute de se trouver accouplée à cette mélodie sentimentale. Gounod dédia cette mélodie, dans sa forme définitive, ni à Rosalie, ni à Aurélie, mais à Mme Miolan-Carvalho, la grande cantatrice.
Jean-Philippe : Nous venons d’entendre la voix d’Emma Albani. Pourriez-vous nous parler un peu de cette cantatrice?
Maureen : Au 19e siècle, la soprano au talent exceptionnel Emma Lajeunesse a connu une carrière d’envergure internationale. De 1870 à 1911, elle a chanté sur toutes les scènes du monde et particulièrement au Covent Garden de Londres.
Née le 1er novembre 1847 à Chambly de parents musiciens — Joseph Lajeunesse et Mélina Mignault — qui reconnaissent très tôt le talent exceptionnel de leur fille, elle apprend à l’âge de 4 ans le piano, la harpe et le chant.
Sa mère lui enseigne d’abord le piano, mais c’est son père, lui-même pianiste, harpiste, organiste et violoniste, qui assure sa formation musicale complète. Suite au décès de sa mère en 1856, la famille déménage à Montréal et Emma devient pensionnaire au couvent des Religieuses du Sacré-Cœur.
En septembre de la même année, elle fait sa première apparition en public. C’est le succès. À partir de ce moment, elle donne plusieurs concerts. Mais il est difficile de chanter, alors que Monseigneur Bourget veut bannir le théâtre, l’opéra et le cirque. En août 1860, Emma Lajeunesse chante en présence du prince de Galles, venu assister à l’inauguration du pont Victoria.
Joseph Lajeunesse veut envoyer sa fille étudier en Europe. Il organise un concert-bénéfice. C’est un échec. De plus, les journaux lui reprochent de ne pas donner à sa fille une jeunesse normale. Il quitte le Québec et s’installe avec ses filles à Albany, New York.
Emma y obtient le poste d’organiste. Déjà, on vient de partout pour l’entendre. En 1868, elle part pour Paris et étudie enfin avec un grand maître. Elle complète sa formation à Milan et n’hésite pas à suivre la recommandation de son professeur d’élocution, Delorenzi, en prenant, pour ses débuts italiens, le nom de scène Albani.
Le 2 avril 1872, Emma Albani débute à Covent Garden. C’est le véritable commencement d’une longue carrière.
Jean-Philippe : Et l’enregistrement lui-même?
Maureen : Cet enregistrement d’Ave Maria a été enregistré en 1905 en Angleterre par Pathé Frères de Paris et distribué par la même compagnie sur disque 78 tours.
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