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Le barde des Prairies
Le Manitoba semble n’avoir conservé aucune chanson folklorique des jours de la rivière Rouge. Cependant, après une recherche de quelques années, certaines de ces chansons ont été découvertes et sont présentées dans cette série.
On ne retrouve aucune chanson des colons de langue anglaise. La seule personne qui, à notre connaissance, a mis la vie du pays en chanson, est Pierre Falcon. Puisque quatre, et peut-être cinq de ces chansons ont été composées par cet homme, il mérite que l’on se penche sur sa vie.
Pierre Falcon était le fils d’un commis de la Compagnie du Nord-Ouest, également nommé Pierre, et sa mère était une femme des Prairies. Il est né à Fort Elbow, dans le district de Swan River, le 4 juin 1793. En 1799, son père l’amena à La Prairie, au Québec, pour ses études, et il ne retourna à Fort Elbow qu’en 1808, à l’âge de 15 ans. Il entra alors au service de la Compagnie du Nord-Ouest, comme commis. En 1812, il épousa Mary Grant, une sœur de Cuthbert Grant.
Pierre Falcon était un petit homme nerveux et bouillant, agile et rapide. Il avait la peau hâlée, typique des résidents des Prairies, et une barbe noire éparse sous laquelle, à l’occasion, on pouvait voir flotter une cravate noire.
Il portait les cheveux longs, jusqu’à la base du cou, non pas pour se conformer au style des poètes de son époque, mais à la mode de la rivière Rouge. Il avait la sensibilité des mots, le sens du rythme et un grand penchant pour les airs gais. Il avait un caractère fort théâtral et ses idées quant à l’importance de la nation métisse étaient sans doute plus exactes que celles de ses contemporains anglophones, ou même que les idées que nous nous en faisons aujourd’hui.
Tout ce qu’il connaissait sur le monde, même le plus petit événement, était transformé en vers et en chansons, pourtant, son œuvre n’était pas superficielle. Il décrivait la vie qui l’entourait et les voyageurs en route vers Montréal ou en revenant ne tardaient pas à les entonner avec plaisir.
Il est difficile pour nous de saisir toute la monotonie de ces voyages à travers le pays; les chansons contribuaient à égayer les voyageurs après des journées, des semaines et des mois passés à bord de canots.
La nuit, ils pouvaient se délier les jambes avec quelques pas de danse autour du feu de camp. Ils devaient être fort empressés de demander une nouvelle chanson à Pierre Falcon lorsqu’ils atteignaient l’extrémité est des Prairies.
Comme personne d’autre n’a aussi bien illustré la vie à la rivière Rouge pendant cette période, il est malheureux, d’un point de vue historique, que l’œuvre de ce barde des Prairies n’ait pas été conservée.
Tassé, l’historien, a prédit qu’aussi longtemps que le folklore canadien serait chanté, l’écho des chansons de Pierre Falcon se ferait entendre du Saint-Laurent au Mackenzie.
Ses multiples chansons l’ont fait connaître sous le nom du « barde des Métis des Prairies ». En fait, il devint un personnage si connu qu’un des plus beaux lacs du Manitoba, le lac Falcon, près de la frontière avec l’Ontario, porte son nom, un honneur qui convient à merveille à sa précieuse contribution.
À l’époque de Pierre Falcon, le lac Falcon se trouvait près d’un passage en canot traversant le pays, passage qu’empruntaient les gens de la Compagnie du Nord-Ouest (CNO). Aujourd’hui, il jouxte un autre chemin transcanadien, celui-ci de béton, c’est-à-dire la principale autoroute du Canada.
Quelle ironie du sort que la renommée de ce chanteur des plaines soit disparue avec lui, et que les origines du nom de ce lac aient également été oubliées. En effet, le lac Falcon est maintenant surtout reconnu pour son centre de villégiature estival fort populaire.
De ce que l’on apprend sur sa vie, il semble que les années de Pierre Falcon comme commis pour la Compagnie du Nord-Ouest se soient déroulées à Swan River et à Qu’Appelle. Son poste, le Fort Elbow, se trouvait parmi un groupe de forts de la Compagnie du Nord-Ouest dans les vallées de Swan River et Assiniboine.
La femme qu’il épousa avait vécu près de Fort Tremblant, dont son père, Cuthbert Grant Sr., un partenaire de la Compagnie du Nord-Ouest, était responsable. Ils passèrent les premières années de leur mariage dans cette région, mais en 1816, un événement historique qui survint à la jonction des rivières Rouge et Assiniboine les amena à cet endroit pour une courte période. C’est là, grâce à sa chanson sur la bataille de Seven Oaks, qu’il a connu la renommée.
À la jonction de ces rivières, cinq années auparavant, en 1811, la Compagnie de la Baie d’Hudson lança un plan de colonisation de ses postes et le projet fut confié à Lord Selkirk.
Il paraissait le choix tout indiqué, puisque quelques années auparavant, il avait demandé, sans succès, une aide au gouvernement britannique pour un projet similaire, au même endroit.
La Compagnie avait choisi une période peu propice pour y envoyer des colons : en effet, ils atterrirent à la jonction des deux rivières en plein milieu d’une guerre commerciale entre la Compagnie du Nord-Ouest et la Compagnie de la Baie d’Hudson.
La férocité des gens de la Compagnie du Nord-Ouest (CNO) se déploya immédiatement contre les colons de Selkirk, ainsi que contre la Compagnie elle-même. En 1815, ils incendièrent la nouvelle petite colonie, dont il ne resta plus rien. Il y eut d’impitoyables représailles.
L’année suivante, les gens de la CNO attaquèrent à nouveau la colonie qui venait d’être reconstruite. Le 19 juin 1816, un groupe d’environ 100 hommes sous le commandement de Cuthbert Grant, fut envoyé en aval de la rivière Assiniboine à partir de Qu’Appelle, afin de bloquer la rivière Rouge, au bas de la colonie. Les gens de la CNO firent de Grant le « capitaine général de tous les Métis ». Une partie du groupe se rendit à La Grenouillère sans être vue.
Mais un second groupe d’environ 30 hommes ne put échapper à la vigilance de Semple, gouverneur de la colonie, et fut intercepté par ce dernier et ses hommes à Seven Oaks. Il y eut une altercation, des tirs, les hommes de la colonie tentèrent de former une ligne de front, mais durent ensuite se regrouper. Les Métis tiraient sans relâche en se cachant derrière leurs chevaux. Un groupe de cavaliers faisant partie du premier groupe de Grant et arrivant de la Grenouillère fit son entrée, surgissant de la forêt de chênes. La lutte devint de plus en plus féroce, et le combat fit un mort parmi les gens de la CNO et 19 du côté des colons.
Le gouverneur Semple succomba à ses blessures. C’est ainsi que se termina la bataille de Seven Oaks, dont le site est aujourd’hui commémoré par un monument sur la rue Main, à Winnipeg.
Le nom de Falcon n’apparaît pas sur la liste des hommes de Grant, mais il était là, puisque Grant lui a ordonné, au poste Souris, d’escorter les provisions.
Pierre Falcon a également dit qu’il a vu l’attaque menée contre Semple et qu’il a composé sa chanson le soir même de cette fatale journée.
En ce qui a trait aux sentiments exprimés dans sa chanson, l’historien Hargrave, qui a publié une version anglaise de sa chanson sur la rivière Rouge, considère que Pierre Falcon a sans aucun doute présenté le point de vue des gens de la CNO en ce qui a trait aux intentions de Semple et de ses hommes.
Hargrave dit également que Falcon ne savait ni lire, ni écrire, ce qui semble difficile à croire lorsque l’on sait qu’il a été élevé par son grand-père, un homme très cultivé du Bas-Canada, et qu’il a été commis pour la Compagnie du Nord-Ouest et la Compagnie de la Baie d’Hudson, ainsi que magistrat d’Assiniboine. Mais Hargrave l’a sans doute connu à la colonie de la rivière Rouge, puisqu’il parle de lui au présent et ajoute : « la chanson a été retranscrite à partir de sa propre exécution aux fins de la présente publication. »
Une étude plus récente sur la chanson, de Margaret Complin, se trouve dans le document Transactions of the Royal Society of Canada for 1939, où l’on retrouve trois versions de l’air de cette chanson.
Après la bataille de Seven Oaks, Cuthbert Grant s’empara de Fort Douglas et chassa les colons de la région. Lord Selkirk apprit que la colonie était à nouveau détruite.
La chanson de Falcon sur la bataille de Seven Oaks fut répandue dans toute la région par les gens de la CNO et une copie des paroles envoyée à Lord Selkirk par son agent à la rivière Rouge.
Lord Selkirk était en route de Montréal vers la rivière Rouge. À Montréal, il fit appel aux membres d’un régiment dissous et c’est à Sault-Sainte-Marie qu’il apprit la nouvelle.
Il se rendit immédiatement à Fort William où, en représailles, il s’empara du fort de la CNO. Grant savait que Selkirk arrivait, et s’attendait sans aucun doute à cette attaque
Pierre Falcon, en tant que bras droit de Grant, a peut-être été envoyé à Fort William, et a pu apprendre les faits décrits dans sa chanson en écoutant le récit qu’en ont fait les gens de la CNO.
Même si le compositeur de la chanson Lord Selkirk à Fort William n’est pas connu, M. Martial Allard, qui a étudié l’œuvre de Pierre Falcon, considère que cette chanson, si l’on se fie au vocabulaire employé, au choix des mots et au style, aurait très bien pu être composée par Falcon lui-même.
La chanson décrit une façon de procéder fort répandue dans le milieu du commerce de la fourrure. En saisissant un fort ennemi, la première considération de chaque compagnie était de conserver le plus grand nombre de serviteurs possible du camp ennemi.
On organisait alors, immédiatement, une danse à laquelle tous étaient conviés. Les hôtes comptaient sur l’atmosphère de fête générale pour délier les langues et connaître les secrets des ennemis.
Le grand hall de Fort William, avec ses peintures et statues, fut sans doute témoin du grand bal de Lord Selkirk, et ce dernier était sûrement fort content d’avoir trouvé un endroit aussi agréable en pleine nature sauvage. Après s’être emparé des lieux, il y trouva même un service de vaisselle royal Wedgwood.
Les paroles de cette chanson ont été trouvées dans la collection Vijon Verreau des archives du folklore de l’Université Laval.
À l’origine, on la chantait sur l’air de la chanson L’Air des Francs Maçons, qui a d’ailleurs été perdue, mais celle présentée ici a été choisie par M. Luc Lacourcière, directeur des archives, et adaptée par M. Henry L. Caron, maître de chapelle à la cathédrale St. Mary’s, à Winnipeg.
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