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Tout le long & Qui te fait si sévère
Jean-Philippe : La mélodie pour voix et piano intitulée « Tout le long », ici présentée, est particulièrement intéressante puisque l’auteur du texte, le compositeur et le chanteur sont tous de Montréal. Commençons donc par le compositeur, Alexis Contant.
Maureen : Né en 1858 à Montréal, où il passera toute sa vie, Alexis Contant, fils de violoniste amateur, commença ses études musicales avec sa mère dès l’âge de trois ans et demi. Ses rapides progrès incitent ses parents à lui faire poursuivre ses études auprès de Joseph A. Fowler, organiste de l’église Saint-Patrice.
Contant donna son premier récital de piano le 2 octobre 1871 à l’âge de 13 ans, lors des fêtes de Parmentier à Chambly. Il abandonnera éventuellement ses prestations au piano afin de se consacrer entièrement à la composition, à l’enseignement de la musique et à l’orgue.
Il a compté parmi ses élèves les célèbres compositeurs canadiens Claude Champagne et Rodolphe Mathieu. Contant devient organiste à l’église Saint-Jean-Baptiste, un poste qu’il occupera de 1885 jusqu'à sa mort en 1918. Contant a été le premier compositeur canadien de renom à être formé presqu’exclusivement au Canada, bien qu’il ait passé six mois à Boston pour étudier avec son mentor, Calixa Lavallée.
Essentiellement autodidacte, il s’est formé en étudiant les partitions des maîtres qu’il admirait : Bach, Weber, Wagner, Saint-Saëns, Gounod, Massenet et Franck. Surtout connu pour sa musique religieuse, plus particulièrement ses messes et ses oratorios, il a, néanmoins, composé des œuvres pour orchestre, fanfare, piano, orgue, de la musique de chambre, ainsi que des chansons patriotiques et profanes.
À quel moment « Tout le long » a-t-elle été composée ?
« Tout le long » pour voix et piano est l’une des dernières œuvres de Contant et fut composée en 1915. Une crise cardiaque en 1916 l’oblige à diminuer ses activités et il ne s’en remettra jamais complètement, mourant deux ans plus tard.
La mélodie est dédiée au ténor Albert Clerk-Jeannotte avec qui Contant avait étudié le chant. Cependant, le nom de Lucien Rainier, auteur du texte, est absent du manuscrit ainsi que des éditions publiées. Le manuscrit de la partition se trouve dans le fonds d’archives d’Alexis Contant conservé à Bibliothèque et Archives Canada.
Rainier aurait-il élu de demeurer anonyme en tant qu’auteur du texte de la mélodie de Contant?
Et alors, qui était donc ce mystérieux Lucien Rainier ?
Lucien Rainier est en fait le pseudonyme de Joseph-Marie Melançon, abbé, qui a vécu de 1877 à 1957. Jeune, ce poète était un des fondateurs de l'École littéraire de Montréal avec Émile Nelligan et Jean Charbonneau.
En 1897, il quitte le groupe pour suivre sa vocation religieuse. Ordonné prêtre en 1900, il enseigne pendant deux ans, devient vicaire, puis aumônier chez les religieuses des Saints-Noms-de-Jésus-et-de-Marie de 1912 à 1947. L’œuvre poétique de Rainier comprend 312 textes. Sa période la plus fructueuse eut lieu entre les années 1901 et 1947.
Cependant, il n’a publié qu’un seul recueil intitulé Avec ma vie, en 1931. Ce recueil est une anthologie de poèmes que Rainier a lui-même sélectionnés parmi ses œuvres de jeunesse et de maturité, et est divisé en trois parties.
Le poème qui nous occupe, « Tout le long » paraît dans la partie ultime du recueil, sous l’intitulé Vers pour être chantés, en compagnie de cinq autres textes. J’aimerais mentionner qu’Alexis Contant a mis en musique les poèmes d’autres membres de l’École littéraire de Montréal, dont Albert Ferland et Albert Lozeau.
Avant d’écouter cette mélodie d’Alexis Contant, enregistrée à New York en 1926, parlons un peu du baryton Louis Chartier.
Peu d’information biographique subsiste sur le baryton Louis Chartier, malgré qu’il y ait à son nom au-delà de cent enregistrements sonores. Il fréquenta le studio La Palme-Issaurel, école de chant fondée par la soprano québécoise Béatrice La Palme et son conjoint, le ténor français Salvator Issaurel.
Chartier est soliste à l’église Notre-Dame de Montréal et chante aussi dans les grands théâtres et cinémas de cette ville. Il s’est également fait entendre aux États-Unis. On sait que Chartier a fondé lui-même un studio de chant à Montréal. Il serait décédé aux États-Unis, vers 1970.
Nous allons maintenant être transportés dans l’univers de l’opéra avec un extrait de Thaïs, une comédie lyrique du compositeur français Jules Massenet sur un livret de Louis Gallet, d’après le roman du même nom d’Anatole France.
L’œuvre fut donnée à l’Opéra de Paris le 16 mars 1894. Pourriez-vous donner un bref aperçu de ce compositeur qui, si je comprends bien, est principalement connu pour ses opéras.
Jules Massenet (1842–1912) a été acclamé à son époque comme le plus grand compositeur d’opéra français. Aujourd’hui, sa place parmi les grands compositeurs d’opéra du XIXe siècle est assurée. De nombreux opéras parmi ses plus de quarante œuvres lyriques sont encore présentées et enregistrées aujourd'hui.
Né à Montaud, près de Saint-Étienne, il a été initié à la musique par sa mère, un professeur de piano et compositrice à ses heures. La famille s’installe à Paris en 1847 et le jeune Jules entre au Conservatoire en 1852 où il étudie la composition avec Ambroise Thomas, à partir de 1861.
En tant qu’étudiant, il subvient à ses besoins grâce à l’enseignement du piano et en jouant des timbales au Théâtre Lyrique. En 1863, il remporte le Prix de Rome avec sa cantate David Rizzio. Il revient à Paris en 1866 et reçoit la même année sa première commande de l’Opéra-Comique.
Son premier grand succès d’opéra fut Le Roi de Lahore pour l’Opéra de Paris en 1877. Il continua à composer de façon très prolifique jusqu'à la fin de sa vie, recevant des commandes des principales maisons d’opéra du monde, dont la Hofoper de Vienne et le Covent Garden de Londres.
Le don lyrique inné de Massenet et sa capacité à évoquer le temps, le lieu, l’atmosphère ainsi que le caractère à travers la musique font de lui le compositeur archétype de l’opéra français de la fin du 19ème siècle. L’ensemble de son œuvre imposante témoigne de sa passion pour le travail, tandis que chacune de ses pièces démontre une compréhension et un professionnalisme en matière de pratiques de création musicale.
Parlez-nous de Thaïs ainsi que de l’air intitulé Qui te fait si sévère que nous allons entendre.
Thaïs de Jules Massenet est parmi les opéras les plus célèbres du répertoire français lyrique. L’intrigue se déroule à Alexandrie en Égypte, à l’époque byzantine (IXe siècle). Le moine cénobite Athanaël cherche à convertir Thaïs, célèbre courtisane vouée au culte de la déesse Vénus. Athanaël y parvient mais découvre trop tard que son obsession pour elle est plutôt de nature amoureuse et charnelle. Thaïs s’enferme donc dans un couvent où elle connaîtra la joie de la rédemption, mais finira par y mourir. Athanaël renie sa foi et sombre dans le désespoir.
Dans la deuxième scène du premier acte, lors d’un banquet, Thaïs et ses consœurs tentent de persuader le fanatique Athanaël à renoncer à la vie monastique à laquelle il n’est manifestement pas destiné. Dans son premier air, soutenue par un rythme balancé et sensuel, Thaïs chante :
Qui te fait si sévère
Et pourquoi démens-tu la flamme de tes yeux?
Quelle triste folie te fait manquer à ton destin?
Homme fait pour aimer, quelle erreur est la tienne!
Homme fait pour savoir, qui t'aveugle à ce point!
Tu n'as pas effleuré la coupe de la vie!
Tu n'as pas épelé l'amoureuse sagesse!
Assieds-toi près de nous, couronne-toi de roses;
Rien n'est vrai que d'aimer, tends les bras à l'amour!
Alors, voici maintenant ce magnifique air d’opéra, interprété par Louise Edvina accompagnée d’un orchestre dirigé par Percy Pitt. Cet enregistrement date du début des années 1920.
Et pour terminer, pouvez-vous nous parler davantage de cette formidable dame Edvina?
Louise Edvina est une soprano lyrique montréalaise peu connue, mais injustement, née en 1875 et décédée en 1948. Très jeune, elle déménage à Vancouver où elle grandit.
Sa première activité musicale fut en tant que chanteuse amatrice, mais on l’encouragea à étudier sérieusement la voix. Après avoir chanté avec une compagnie itinérante pendant quelques années, elle étudie avec Jean de Reszke à Paris en 1904 et en 1908, fait ses débuts à Covent Garden à Londres comme Marguerite dans Faust. Edvina y chanta régulièrement jusqu’en 1920.
En fait, c’est à Covent Garden qu’elle interprète le rôle de la courtisane dans l’opéra Thaïs de Massenet, lors de sa création à Londres. Louise Edvina s’associa avec la Compagnie d’opéra de Boston en 1911 et celle de Chicago en 1915. Elle a été invitée par l’Opéra métropolitain de New York pour des prestations en 1915–16. Après sa retraite en 1926, elle finit par s’établir à Cannes.
En 1991 Louise Edvina est intronisée au Panthéon de l’opéra canadien, organisme de l’Opéra de Montréal qui a pour mandat de reconnaître l’apport exceptionnel d’artistes et de personnalités du milieu de l’opéra, tout en contribuant au développement de l’art lyrique au Canada.
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