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Le Traité de Niagara
Jusqu’à récemment, la Confédération et la Loi sur les Indiens qui en a résulté ont éclipsé la plupart des relations issues des Traités dans l’esprit de la population non autochtone du Canada. Aujourd’hui, les Canadiens reviennent aux Traités et veulent redonner vie aux relations qui ont encadré la cohabitation entre les peuples sur ce territoire pendant des siècles, avant 1867. Cette introspection nationale repose en partie sur la « redécouverte », par les non-Autochtones, des liens anciens et durables tissés entre les Premières Nations et le Souverain et qui font partie intégrante de ces Traités, comme le Traité de Niagara de 1764.
Pendant des générations, les manuels d’histoire ont décrit la Proclamation royale de 1763 comme la « Magna Carta indienne », le document à l’origine des droits des Premières Nations quant à leurs relations avec le Canada. Et pourtant, comme nous l’ont rappelé les aînés et les gardiens de la connaissance de tout le continent, la proclamation du Roi George III ne raconte qu’une partie de l’histoire (essentiellement, la partie non autochtone).
Après tout, la Proclamation royale n’est qu’un document écrit qui reflète un moment précis dans le temps. Un « Traité » peut également être défini comme une entente vivante, qui évolue au fil du temps. Également, les ceintures wampum (tissées à la main avec des tendons et des coquilles de palourdes et de buccins) qui représentent les Traités, ne peuvent être interprétées d’une seule et même manière. « La contextualisation de la Proclamation révèle qu’on ne peut en interpréter le sens au moyen du seul document écrit, » précise John Borrows, détenteur d’une chaire de recherche du Canada en droit autochtone, dans son article intitulé “Wampum at Niagara: The Royal Proclamation, Canadian Legal History, and Self- Government.” Il poursuit : « Le fait d’interpréter les principes de la Proclamation en adoptant cette approche omet toute la perspective des Premières Nations et privilégie indûment une culture par rapport à une autre ».
Lorsque des copies de la Proclamation royale de 1763 furent remises aux Premières Nations installées autour des Grands Lacs, Sir William Johnson, le surintendant des Affaires indiennes du Roi, savait fort bien que le document resterait sans valeur tant qu’il ne serait pas ratifié par les communautés des Premières Nations. La simple imposition, par la force, des intérêts britanniques dans le bassin des Grands Lacs était vouée à l’échec. Le gouverneur Jeffery Amherst avait déjà essayé. Il avait même proposé d’employer des tactiques génocidaires, notamment en distribuant des couvertures infectées du virus de la variole, mais les Chefs autochtones, incluant le Chef Pontiac de la Nation Odawa, ne tardèrent pas à lui rappeler que les Premières Nations étaient trop puissantes pour les Britanniques. En effet, à la suite de la prise de neuf forts britanniques par Pontiac, les officiers impériaux abandonnèrent rapidement les campagnes d’Amherst, suivant plutôt les conseils de Johnson qui privilégiait la diplomatie fondée sur des protocoles autochtones mis de l’avant par sa partenaire, Molly Brant (mère d’un clan Mohawk de la Confédération Haudenosaunee). Cette approche a mené au Grand Conseil de Niagara en 1764 entre la Couronne britannique (représentée par Johnson) et au moins 24 Premières Nations de toute la région des Grands Lacs.
Après un mois de négociations, incluant l’échange de 84 ceintures wampum, le Traité de Niagara fut adopté, prolongeant la chaîne d’argent d’amitié jusqu’au coeur du continent et établissant un lien filial entre le Roi George III et ses descendants et les peuples des Premières Nations de tout le territoire. De nombreuses personnes considèrent ce Traité, et la ceinture wampum échangée à sa création, comme le véritable fondement de ce que l’on appelle aujourd’hui le Canada. Son legs n’est pas un accord écrit, mais plutôt une série de discussions et de débats qui, selon John Borrows, rendaient explicites les principes implicites du document écrit au moyen de formes de communications propres aux Premières Nations, comme la ceinture wampum en tant qu’outil mnémonique. Les documents se présentaient sous forme de wampum plutôt que de parchemins. Les ceintures wampum étaient tissées tant à la demande des délégués autochtones que des délégués non autochtones.
Le Traité de Niagara (comme la plupart des Traités) repose essentiellement sur une relation filiale avec le Souverain. La dynamique créée par ce lien filial entre les Premières Nations et la Couronne doit mettre en valeur les principes de confiance, d’honnêteté et d’honneur. Si l’amour filial fait partie intégrante de la relation issue du Traité, il permet aux parties d’être en désaccord, sans cependant se manquer de respect. À la lumière de ces principes fondamentaux, une relation filiale doit, pour exister, demeurer souple. Au fur et à mesure que surviennent de nouvelles circonstances ou des conflits imprévus, il importe de négocier avec les partenaires du Traité afin d’intégrer ces conflits ou circonstances à la relation.
En tant qu’institution, la Couronne établissait le cadre nécessaire pour que les non-Autochtones puissent établir des liens issus des Traités avec les Premières Nations. C’est grâce à la Couronne, et plus particulièrement sa capacité à représenter les colons eux-mêmes, que les idéaux d’une société non autochtone pouvaient être efficacement traduits.
En tant qu’institution, la « Couronne » reste un terme vague, qui inspire les plus hautes aspirations de la société qu’elle représente, et notamment l’honneur. Comme les Traités, la Couronne existe dans un contexte abstrait qui doit être constamment renouvelé et cultivé par ceux qu’elle entend servir. En effet, l’un des principaux rôles de la Reine (en tant que Reine du Canada) est d’agir en tant que représentante vivante de l’État canadien et de toutes les subtilités qu’il suppose. La Couronne instaure les concepts politiques et juridiques sur lesquels repose la démocratie canadienne, mais elle existe également dans une dimension métaphysique qui englobe une société complexe, pour rendre plus tangibles des histoires, expressions et concepts abstraits.
Aujourd’hui, on peut visiter l’endroit à Niagara-on-the- Lake, en Ontario, où Johnson a débarqué après avoir traversé la rivière, à partir de Fort Niagara, pour accueillir ses homologues des Premières Nations. C’est à cet endroit que Johnson a présenté à ses interlocuteurs la ceinture wampum de la chaîne d’amitié, ceinture dont il avait commandé la confection afin de représenter le Traité qu’il avait négocié avec une délégation de plus de deux mille représentants de Premières Nations. Et pourtant, en 2018, il n’y a aucun monument ni aucune plaque pour commémorer l’endroit où le Traité fondateur qui a mené à la création du Canada a été conclu. En fait, aucun endroit au Canada n’était dédié à la commémoration et à l’éducation entourant le Traité de Niagara avant que la Reine Elizabeth II ne crée la chapelle royale au Massey College de l’Université de Toronto, le 21 juin 2017.
Qu’est-ce qu’une « chapelle royale »? En termes simples, il s’agit d’une institution formée des religieux et choristes qui suivaient les rois et reines de l’Angleterre prénormande lors de leurs voyages dans le pays. Par un subterfuge de l’Histoire que l’on observe plus fréquemment au Canada que dans les autres pays du Commonwealth, les chapelles royales ont été importées par les souverains de l’époque et sont devenues partie intégrante de leurs liens personnels avec les peuples des Premières Nations. La Reine Anne a fondé la chapelle Mohawk à Fort Hunter dans la région aujourd’hui située dans l’État de New York en 1710. Elle fut détruite lors de la Révolution américaine, mais de nouvelles chapelles furent construites sur le territoire britannique vers le milieu des années 1780 par les Premières Nations qui traversaient la frontière pour fuir la guerre. La chapelle royale des Mohawks de Sa Majesté près de Brantford, en Ontario, et Christ Church, la chapelle royale des Mohawks de Sa Majesté près de Deseronto, en Ontario, ont été reconnues comme des chapelles royales par le Roi Édouard VII en 1904.
La création de la chapelle royale du Massey College rappelle les liens anciens et durables instaurés par les Traités avant même la fondation du Canada, tout en établissant un lieu pour découvrir la nature des relations les plus importantes tissées sur ce territoire. Lorsque l’on comprend l’importance du lien filial entre la Reine et les Premières Nations, l’idée de créer un tel lieu l’année du 150e anniversaire du Canada nous apparaît alors toute naturelle. Il s’agissait d’un acte familial de réconciliation, rappelant d’anciennes obligations du Souverain tout en tissant un lien avec l’avenir du Canada.
L’une des oeuvres principales de la chapelle royale Massey est une murale exécutée par l’artiste autochtone Philip Cote. Exposée de façon permanente près de l’entrée, la murale impose une perspective autochtone à ce lieu souterrain, dès qu’on y pénètre.
La murale illustre la négociation du Traité de Niagara et la nature des Traités en tant qu’ententes « vivantes » qui évoluent et se transforment. La ceinture wampum de la chaîne d’argent d’amitié, une des ceintures présentées par Johnson à la conclusion du Traité, est mise en valeur pour représenter l’union des peuples des Premières Nations et de la Couronne. Une réplique de cette ceinture de la chaîne d’argent est exposée près de l’autel et elle est également représentée sur une mosaïque exécutée par Sarah Hall, une artiste verrière renommée. Les personnages clés, comme Molly Brant, Johnson et Pontiac y sont aussi dépeints, tout comme les délégués des Nations Huron-Wendat, Haudenosaunee, Shawnee, Suk Fox, Anishinaabek et Mississauga. Les visiteurs de la chapelle sont ainsi amenés à comprendre l’histoire complète du Conseil de Niagara et des discussions qui s’y sont tenues.
La chapelle royale Massey, où l’on évoque le Traité, est un lieu vivant rappelant que les histoires des peuples autochtones et non autochtones n’ont pas commencé avec la Proclamation royale, et ne se sont pas terminées après cet événement. La Proclamation royale fait plutôt partie des relations qui ont été tissées des générations plus tôt et n’a été ratifiée par les Premières Nations qu’une fois l’état de ces relations réellement reflété dans l’entente.
Aujourd’hui comme à l’époque, ces relations sont vivantes, comme en témoigne la renaissance de nombreux protocoles que l’on remet en valeur à la chapelle entre les représentants de la Reine et les Mississaugas de la Nation New Credit. La chapelle tient également un symposium annuel dont l’énoncé de vision stipule que la réconciliation doit avant tout passer par la vérité.
Le symposium de la chapelle royale vise à explorer les relations établies par le Traité de Niagara de 1764 et la chaîne d’argent d’amitié. Il a également pour mandat d’explorer le fondement véritable des relations entre la Couronne et les Premières Nations au fil des siècles. Le premier symposium s’est tenu les 1er et 2 février 2018, en compagnie des conférenciers Alan Corbiere et John Borrows. Lors du même événement, l’Association des étudiants autochtones de l’Université de Toronto tenait un exercice traditionnel des couvertures.
Même si l’Acte de l’Amérique du Nord Britannique donnait aux gouvernements successifs du Canada le pouvoir d’agir comme si les Traités n’avaient jamais existé, les liens spéciaux entre le Souverain et les Premières Nations ne se sont jamais démentis, comme en font foi les nombreuses délégations à Buckingham Palace et les pétitions remises aux représentants vice-royaux jusqu’à aujourd’hui. Une déclaration de la lieutenante-gouverneure de la Colombie-Britannique, Judith Guichon, réitère sa relation filiale avec les Premières Nations, établissant ainsi un lien avec les efforts de réconciliation actuellement déployés par le Canada :.
« Les mots réconciliation, traité et amour sont tous des mots d’action. La famille vice-royale, reliée aux Premières Nations par un lien filial, peut continuer de chercher une véritable réconciliation. Il n’y a pas d’objectif définitif en matière de réconciliation. Notre vision consiste à entretenir des relations respectueuses, tout en demeurant responsable de ces liens pour les générations à venir. Tout comme la définition même de la Couronne demeure insaisissable, l’approche à adopter par rapport à une application holistique des Traités diffère d’une nation à une autre. Cependant, la confiance en tant que fondement, l’honnêteté, la communication, l’intégrité et l’amour demeureront des constantes, comme la Couronne. »
La Couronne a longtemps été le vecteur par lequel les peuples non autochtones entraient en relation avec leurs partenaires des Premières Nations. Des générations de négligence ont terni cette relation, l’effritant parfois au point d’en presque briser les liens. Mais il est possible de la renouveler. Nous attendons de nos symboles nationaux qu’ils reflètent les plus grands idéaux, et l’honneur, de la société canadienne.
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