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La création du Nunavut
Le 1er avril 1999, la carte du Canada est redessinée : les Territoires du Nord-Ouest se divisent en deux territoires pour créer le Nunavut, terre des Inuits du Canada. La création du Nunavut témoigne de la volonté des leaders politiques inuits et de la souplesse des institutions politiques canadiennes.
Depuis les six dernières années, les leaders inuits se préparent à cet événement. Tout a été revu en prévision de cet anniversaire : des nouveaux symboles sur le drapeau et les plaques d’immatriculation, aux nouveaux bâtiments où siégera l’Assemblée législative, en passant par la création de nouvelles circonscriptions et l’élection d’une nouvelle assemblée territoriale. Et c’est maintenant que le vrai travail commence.
Le nouveau territoire du Nunavut est très vaste et comporte une variété unique de paysages et d’écosystèmes. L’ensemble du territoire, des fjords glaciaires de la côte est de l’île de Baffin aux versants rocheux de la côte ouest de la baie d’Hudson, est en zone arctique, ce qui signifie qu’il se trouve entièrement au nord de la limite forestière.
Ce qui reste des T.N.-O. est fréquemment appelé l’ouest de l’Arctique, mais il faudrait plutôt parler de l’ouest subarctique, puisque la plus grande partie du territoire se trouve à l’intérieur de la limite forestière. Pour décrire plus adéquatement le Nunavut, il faudrait parler de sa culture distincte, de son histoire, et du système politique qui régit la majorité de ses habitants, les Inuits.
Inuit est un mot en langue inuktitute qui signifie peuple. On emploie Inuk pour désigner une personne. Dans l’histoire récente, on les appelait Eskimos, un terme qu’ils ont préféré remplacer par celui qu’ils se sont choisi eux‑mêmes. Même si les aspects les plus frappants de leur culture matérielle sont connus de tous — iglu (maison de neige) et kayak (petite embarcation), sans doute plus répandus que ulu (couteau de femme) et umiak (grande embarcation) — leur culture intellectuelle et leurs valeurs servent aussi bien les Inuits aujourd’hui que leurs technologies les ont servis par le passé.
Les Inuits, pour la plupart, valorisent la souplesse et l’ingénuité – on ne camoufle jamais une bonne idée dans le but de faire les choses comme elles ont toujours été faites. En même temps, les aînés et les traditions anciennes font l’objet d’un immense respect. L’atteinte d’un équilibre entre les deux – qui doit reposer sur l’accueil de la nouveauté et le respect de la sagesse qui vient avec l’âge – sera l’un des grands défis du Nunavut.
Les archéologues soutiennent que les Inuits modernes, qui ont sans aucun doute une culture et une langue distinctes de celles des autres Amérindiens, sont les descendants du peuple Thulé qui traversa tardivement (et le dernier) le détroit de Bering, il y a près de mille ans. Les Inuits ont un riche répertoire de contes créationnistes, dont certains relatent qu’ils ont été placés sur ce territoire par leur propre créateur.
La culture inuite traditionnelle demeure forte dans les communautés arctiques, puisque les Inuits continuent de dépendre, dans une grande mesure, de la chasse pour assurer leur survie (et le partage de nourriture demeure un aspect essentiel des économies de ces communautés).
Les arts visuels inuits sont de puissants modes d’expression et de transmission de la culture inuite, et la langue inuite, l’inuktitut, résiste aux pressions externes, en grande partie grâce aux politiques de protection des leaders inuits.
Dans les terrains de jeu de nombreuses communautés arctiques que j’ai visités, la langue du jeu est l’inuktitut — un signe convaincant de la vitalité de cette langue.
L’histoire de l’Arctique est riche et complexe. Même si la plupart des historiens se sont concentrés sur les explorateurs et les expéditions, les échanges culturels dans l’Arctique et les réactions des Inuits au colonialisme sont des thèmes passionnants qui continueront de susciter l’intérêt des universitaires et du public. Même si la chasse à la baleine au 19e siècle a eu des répercussions à l’échelle locale, la vie économique inuite est demeurée, en grande partie, fidèle à ses traditions, jusqu’à l’introduction plus récente du commerce de la fourrure de renard et de phoque.
Ainsi, il y avait des inuits canadiens qui vers la fin des années 1950 n’avaient presque jamais vu d’étrangers, voire aucun. L’établissement permanent des Inuits en communautés est un phénomène des années 1950 et 1960. L’un des plus grands défis des leaders du Nunavut sera de trouver une façon de se libérer de la dépendance économique de ce territoire, qui est un des legs les plus incapacitants des relations coloniales. Bon nombre de ces leaders sont « nés sur le territoire », dans ce qui équivaut à un autre monde.
Politiquement, les îles de l’Arctique font partie du Canada depuis 1880, même si pratiquement rien n’a été fait avant 1897, lorsque William Wakeham, co-président de la Commission de la frontière internationale a hissé le drapeau lors d’un événement cérémonial, à l’île Kekerten, dans la baie Cumberland, maintenant un parc territorial historique.
Ce n’est qu’en 1921 qu’un conseil composé de fonctionnaires d’Ottawa a commencé à gouverner l’Arctique et a instauré un service annuel de patrouilles navales dans l’est de l’Arctique pour livrer du matériel et fournir des services dans les communautés côtières.
Le statut des Inuits, légalement incertain, est réglé en 1939 dans une décision de la Cour suprême du Canada concernant les Eskimos et déterminant que la responsabilité des Inuits incombe au gouvernement fédéral et qu’ils sont en effet, des citoyens autochtones; cependant, les Inuits ne furent pas directement consultés au sujet de la gouvernance de leurs terres et de leurs communautés avant la fin des années 1950. En 1965, Abraham Okpik sera le premier Inuit nommé au conseil territorial. En 1966, le conseil s’élargit pour inclure sept autres membres élus, dont Simonie Michael, le premier Inuit élu.
Tranquillement, le conseil territorial devient une entité représentative formée d’élus, dont les Inuits font activement partie. Au début des années 1970, les Inuits des T.N.-O. forment l’Inuit Tapirisat du Canada, une association ayant le vaste mandat de préserver la culture inuite et de promouvoir les intérêts de ce peuple. Vers les années 1980, l’ITC représente les Inuits à l’échelle du pays.
Le Nunavut était un objectif de longue date de l’ITC, qui a présenté cette idée dès le dépôt de ses premières revendications territoriales, en 1967. Un long exposé serait nécessaire pour décrire toutes les péripéties entourant la division du territoire, qui a occupé les politiciens inuits vers la fin des années 1970 jusque dans les années 1980. Cependant, on peut affirmer qu’une génération de politiciens très habiles (en grande partie des femmes) a émergé de ces efforts et a su faire preuve de patience, de détermination et de créativité pour atteindre sa vision : la création du Nunavut.
Nunavut est le terme en inuktitut qui signifie « notre terre ». Contrairement à d’autres Premières Nations du Canada, les Inuits ne sont pas intéressés à se doter d’institutions gouvernementales distinctes. Leur situation particulière d’occupants majoritaires de l’Arctique les incite plutôt à promouvoir la notion de pouvoirs accrus pour leurs propres autorités publiques (contrairement aux autorités autochtones) en tant que vecteurs de leurs aspirations politiques. Ils peuvent ainsi recourir à leur majorité pour élire suffisamment de politiciens inuits pour garder le plein contrôle du Nunavut, un contrôle qu’ils pourront conserver pour de nombreuses années à venir.
Le Nunavut découle en partie du règlement d’une revendication territoriale, l’Accord sur les revendications territoriales du Nunavut de 1993, qui officialise la division du T.N.-O. L’application de l’Accord est maintenant administrée par un organisme appelé Nunavut Tungavik Incorporated qui, en tant que grand propriétaire foncier et détenteur de capital, sera un représentant important des intérêts des Inuits au Nunavut.
Les recommandations menant à la formation d’un gouvernement au Nunavut sont formulées par la Commission d’établissement du Nunavut. Elle est présidée par John Amagoalik, reconnu comme le fondateur du territoire. Son œuvre prend fin en 1997, lorsqu’un commissaire intérimaire, l’ancien membre du Parlement Jack Anawak, est nommé pour instaurer ses recommandations.
Ensuite, pendant six ans, la communauté inuite travaille sans relâche pour mettre en place les infrastructures matérielles et humaines exigées par le nouveau gouvernement, à temps pour l’échéancier du 1er avril 1999. Par la suite, pendant les huit années suivantes, des responsabilités accrues seront déléguées au gouvernement du Nunavut. Le territoire deviendra alors une administration semblable à une province, comme les T.N.-O. le sont aujourd’hui. L’inuktitut est la langue officielle de ce nouveau territoire.
La capitale du Nunavut est Iqaluit (autrefois appelée Frobisher Bay), mais l’objectif de ses dirigeants est de décentraliser le territoire et de développer des centres régionaux. Il y a trois grandes régions au Nunavut : les communautés sur l’île de Baffin et à proximité, les communautés de Kitikmeot sur la côte et les îles du centre de l’Arctique, et les communautés de Kivilik, dans la région de la côte nord-ouest de la baie d’Hudson.
Chacune des vingt‑six communautés du Nunavut (la population totale atteint à peine 17 000 habitants) est un microcosme unique et chacune a développé sa propre stratégie pour faire face aux traumatismes du passé et aux défis de l’avenir. Par exemple, la différence entre Rankin Inlet, qui a le côté rude, mais également fonctionnel d’une ville-ressource nordique et Whale Cove, où les anciens modes de vie ont été préservés, est frappante.
Même si on pourrait penser que le Nunavut mise sur ses ressources en pétrole, en gaz et en minerais, il importe de mentionner une autre ressource dont le Nunavut est riche : la présence des aînés qui demeurent un puits de connaissances, d’histoires, d’habiletés et de valeurs, et constituent un trésor inestimable. La culture en elle-même est un des biens les plus précieux des Inuits.
Pour le meilleur ou pour le pire, ce que l’on désigne comme la culture autochtone « authentique », et tout ce qui en découle, ne peut que gagner en valeur au cours du prochain siècle. La mesure dans laquelle le Nunavut, dans ses propres formes de fonctionnement et ses propres processus décisionnels, parvient à refléter, incarner et faire connaître la culture inuite sera certainement un facteur crucial de sa réussite.
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