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Préserver un patrimoine en peril
La première messe catholique en sol canadien est célébrée le 7 septembre 1535 à L’Isle-aux- Coudres, sur le fleuve Saint-Laurent, par les deux aumôniers qui accompagnent l’équipage de Jacques Cartier. L’hiver suivant, l’explorateur séjourne à Stadaconé, où sera un jour fondée la ville de Québec. Ses hommes souffrent du scorbut, 25 d’entre eux en meurent. Cartier fait dresser un autel au pied d’un arbre dans la forêt pour implorer le secours divin. Il y dépose une image de la Vierge et organise une procession de tous ceux qui peuvent encore marcher en chantant des psaumes et l’Ave Maris Stella, un hymne très populaire chez les matelots bretons.
La première messe et le premier pèlerinage au pays nécessitent l’usage de vêtements et objets liturgiques, de statuaires ou encore de livres de chant apportés d’Europe. Ces objets-là ont probablement été rapportés en France. Mais ceux qui seront apportés plus tard par les premiers colons et les missionnaires et ceux qui seront ensuite créés ici constitueront l’un des pans les plus importants du patrimoine culturel et artistique du pays.
Au Québec et ailleurs au Canada, les églises autour desquelles sont regroupés les villes et villages sont décorées par des peintres et sculpteurs qui y réalisent souvent l’essentiel de leur oeuvre. Les différentes communautés et nationalités apportent leurs traditions, leur architecture et les objets religieux qui les caractérisent. Au sein de ce patrimoine, celui constitué par les congrégations religieuses d’hommes et de femmes se distingue par la quantité d’objets et d’archives préservés et par la diversité des oeuvres et établissements qu’elles ont administrés.
Les communautés fondatrices
La première communauté religieuse à s’installer au pays, les Récollets, arrive en 1615 avec Samuel de Champlain, 80 ans après le séjour de Jacques Cartier à Stadaconé. Elle construit en peu de temps une chapelle près de l’Habitation de Québec et part courir le pays à la rencontre des Autochtones.
Cinq ans plus tard, les religieux construisent un couvent et une église sur les bords de la rivière Saint-Charles, à Québec. L’Hôpital général de Québec occupe aujourd’hui ce site et garde encore des traces de cette installation des origines.
Pour orner leur église, célébrer la messe, évangéliser les Autochtones, les Récollets ont avec eux des images, des sculptures, des objets liturgiques. Pour vivre en communauté dans leur couvent, ils ont besoin de meubles, d’objets pour la cuisine et d’outils pour cultiver la terre et construire leurs lieux de vie et de prière. Après les Récollets et les Jésuites (arrivés en 1625) débarquent à Québec les Augustines et les Ursulines, le 1er août 1639, premières communautés féminines dédiées au soin des malades et à l’éducation. Dans leurs coffres, elles apportent les documents constitutifs de leur mission, des objets religieux, des livres de médecine et d’autres pour l’enseignement.
À l’époque de la Nouvelle-France, les communautés d’hommes (Récollets, Jésuites, Sulpiciens) et le Séminaire de Québec, les communautés de femmes (Augustines, Ursulines, Hospitalières de Saint-Joseph, Congrégation Notre- Dame), construisent les premiers couvents, écoles et hôpitaux. Elles contribuent de façon déterminante au développement de la colonie et à l’occupation du territoire. Après elles, plusieurs autres congrégations sont fondées ou viennent de France pour participer au développement du pays d’un océan à l’autre. Toutes les congrégations auront besoin elles aussi d’objets pour la prière, la vie communautaire et leur mission spécifique. Conservés précieusement, ils constituent aujourd’hui un patrimoine d’envergure et d’importance nationales.
Un patrimoine en péril
Les congrégations religieuses connaissent un essor important au cours de la seconde moitié du 19e siècle et de la première moitié du siècle suivant. Au Québec, en particulier, elles prennent en charge les petites et grandes écoles et les lieux d’enseignement spécialisé, les hôpitaux, les asiles pour le traitement des problèmes de santé mentale, le service du clergé, les lieux de pèlerinage, les aumôneries dans les mouvements d’action catholique, la prière contemplative, l’action missionnaire à travers le monde, les publications religieuses et des maisons d’édition.
Très tôt, les congrégations religieuses sont conscientes de l’importance de préserver la mémoire des débuts et de l’évolution de leur oeuvre sociale et religieuse. Leurs archives recèlent des documents fondateurs et des actes légaux, de la correspondance, des annales, des plans de construction. Plusieurs communautés, même parmi les plus modestes et dans toutes les régions du pays, ouvrent un musée et donnent accès à leurs archives. Nous devons à leur vigilance et à leur compétence une grande partie de notre mémoire collective.
À partir des années 1970, les congrégations font face à une diminution rapide et constante de leurs effectifs. Au Québec, leurs établissements sont, pour la plupart, cédés à l’État, leurs couvents ferment. Très tôt, la gestion de leurs archives et collections d’objets dépasse les capacités de religieuses et religieux de moins en moins nombreux. Après un premier regroupement à la maison-mère, il faut penser à la transmission de ces biens. À qui? De quelle façon? Avec quels moyens? Parfois aidées par les autorités gouvernementales, les congrégations trouvent des solutions innovantes et inspirantes. Certaines se regroupent pour créer des centres d’archives ou pour rassembler les objets de leurs collections. Parmi elles, les Augustines de la Miséricorde de Jésus sont les instigatrices d’un projet en voie de faire école.
L’exemple des Augustines
Les Augustines de Dieppe, en France, fondent en 1639 le premier hôpital du pays, l’Hôtel-Dieu de Québec. Cette communauté de soignantes sera à l’origine de onze autres établissements au Québec. Au fil des siècles, elles accumulent un kilomètre linéaire d’archives et livres anciens et plus de 50 000 objets de collection issus de leur vie quotidienne, de leur vie de prière et des soins aux malades. Leur collection médicale raconte plus de trois siècles d’innovation scientifique et technique dédiée aux soins et au soulagement de la souffrance.
Confrontées à la diminution de leurs effectifs, les Augustines se voient dans l’obligation de fermer progressivement leurs monastères, alors que leurs hôpitaux sont tous pris en charge par l’État québécois. Elles constituent, au bénéfice de la population, une fiducie d’utilité sociale à qui elles cèdent leurs archives et collections et le monastère de l’Hôtel-Dieu de Québec. Avec l’aide financière des gouvernements, la fiducie construit une réserve muséale et aménage dans le monastère un centre d’archives. Un organisme sans but lucratif assure la gestion des lieux.
Les espaces anciens sont convertis en musée, qui sera ouvert au public le 1er août 2015, soit 376 ans exactement après l’arrivée des premières Augustines. Les 65 chambres que les soeurs occupaient sont offertes pour un séjour à toute personne qui souhaite en expérimenter le calme et la beauté. Tous ceux et celles qui visitent ou séjournent au monastère font l’expérience d’un patrimoine de première importance et d’un lieu habité depuis plus de 375 ans.
Du couvent au musée
Parmi les objets de collection provenant des congrégations religieuses, certains sont issus du monde du sacré. Ils ont servi à la prière, aux dévotions et aux rites liturgiques. S’ils perdent leur usage en passant au musée, ils ne perdent pas leur capacité d’évocation. Ils témoignent de la foi de ceux et celles qui leur ont donné une place dans leur vie et racontent leur histoire.
Une fois entré dans la réserve d’un musée, l’objet n’est plus dans un contexte sacré, mais il demeure un objet d’exception. Comme toute pièce de collection, il est manipulé avec soin, rangé de façon à assurer sa sécurité et sa conservation. Lorsqu’il est exposé, il est placé en vitrine sous un éclairage qui le magnifie. Ses valeurs artistiques, ethnologiques, historiques sont mises en évidence. Il participe à un récit muséographique, il devient objet de mémoire de l’univers d’où il est issu et rend hommage au talent de l’artiste ou de l’artisan qui l’a réalisé. Le regard différent que pose le traitement muséal contribue d’une autre manière à la « sacralisation » de l’objet religieux.
La croisée des chemins
Avec la fermeture des couvents et monastères dans une période aussi brève, de nombreux objets et d’importantes archives risquent de disparaître s’ils ne sont pas pris en charge par des institutions compétentes. Des congrégations trouvent actuellement des solutions innovantes en ce sens. D’autres cherchent des partenaires pour y arriver. Le défi reste entier pour la plupart d’entre elles. Avec le décès des porteurs de mémoire, s’éteint aussi la compréhension de ce que représente ce patrimoine pour ceux et celles qui l’ont fréquenté. Au regard de la moyenne d’âge élevée des religieux et religieuses, la prochaine décennie sera déterminante pour la préservation d’un héritage conservé dans un état impeccable et dont on méconnaît souvent la valeur inestimable.
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