La Société Saint-Vincent de Paul à Québec

Written by Réjean Lemoine, published by Les éditions GID, 2011, $29.95, 223 p.

Reviewed by Patrick Donovan

Mis en ligne le 25 janvier 2012

En 2010, les derniers vestiges de l’église Saint-Vincent de Paul, situés dans l’arrondissement historique UNESCO de Québec, sont démolis pour faire place à un projet d’hôtel.

Certains affirment que le site n’avait aucune valeur patrimoniale, qu’il s’agissait d’une église parmi tant d’autres. La lecture de l’ouvrage de Rejean Lemoine sur la Société Saint Vincent de Paul démontre à quel point un tel constat est preuve d’amnésie collective face à notre passé. J’ose espérer que ces vestiges n’auraient jamais été rasés si les gens de Québec avaient pu prendre connaissance du contenu de cet ouvrage.

En fait, sur le site se dressait bien plus qu’une église de paroisse. C’était un lieu historique d’importance nationale. Le complexe Saint-Vincent de Paul était le siège social canadien d’un organisme qui a joué un rôle crucial pour alléger la pauvreté avant l’émergence de l’État providence, et cela dans tout le pays.

La Société Saint-Vincent de Paul est fondée en France en 1833 pour s’attaquer aux inégalités sociales engendrées par l’urbanisation et l’industrialisation. Il s’agit d’un ordre laïc et masculin organisé en succursales quasi-indépendantes (appelées « conférences »). Chaque conférence regroupe de nombreux bénévoles voués à visiter les familles démunies de leur quartier dans la discrétion, l’humilité et l’anonymat.

La Société s’implante au Québec, plus particulièrement dans la ville de Québec, en 1846. Les conférences se multiplient rapidement dans la capitale. À la fin du XIXe siècle à Québec, une personne sur cinquante est membre de la Saint-Vincent de Paul; on compte donc 1,200 bénévoles répartis en une quarantaine de conférences. De plus, des milliers d’enfants provenant de milieux défavorisés profitent de l’éducation gratuite offerte les « Patro » dans la ville.La Société parraine d’autres initiatives : création de caisses d’épargne, soutien à l’asile du Bon Pasteur, mise en place de Gouttes de lait, parmi d’autres. Une communauté religieuse Saint-Vincent de Paul s’installe sur la côte d’Abraham en 1884 pour soutenir ces initiatives.

L’État providence remplace graduellement la Saint-Vincent de Paul. L’imaginaire populaire situe ce changement à l’époque de la Révolution tranquille des années 1960, mais il commence bien avant. La Grande Dépression des années 1930 oblige l’État à intervenir. Aux débuts de cette crise, la Saint-Vincent de Paul est mandatée de distribuer l’aide offerte par l’état. Toutefois, avec un taux de chômage dépassant 30%25, la Saint-Vincent de Paul ne peut remplir la tâche. En 1933, la ville de Québec se voit obligée de créer un bureau municipal de chômage et Montréal fait de même.

La Saint-Vincent de Paul doit donc redéfinir son rôle. Elle arrête graduellement de distribuer des bons aux pauvres et s’attaque à de nouveaux problèmes comme la solitude des personnes et la condition des ex-détenus. Avec le temps, Les « Patros » deviennent des centres de loisir plutôt que des écoles. Dans les années 1970 et 1980, la Société est souvent perçue comme une organisation désuète composé de personnes âgées. Toutefois, au milieu des années 1980 elle abandonne sa discrétion traditionnelle et se taillera une nouvelle place dans la société en ralliant les jeunes et en se lançant dans de grandes campagnes médiatiques.

Lemoine retrace habilement l’histoire de cet organisme dans un ouvrage vulgarisé s’adressant à un large lectorat. L’auteur est journaliste; cela s’apprécie dans son style clair et concis. Le ton fait contraste avec les nombreuses monographies sur les ordres religieux au Québec rédigées « à l’interne » dans un style orné, un peu trop élogieux, avec de nombreuses références aux interventions de la Divine Providence. Bien qu’il s’agisse d’une commande, la Société Saint-Vincent de Paul a eu la sagesse de donner assez de latitude à l’auteur. Il ne s’agit pas d’une hagiographie : l’ouvrage parle des réussites de la Société, mais aussi des aspects moins heureux de son histoire tel sa sympathie pour les mouvements fascistes d’Europe pendant les années 1930 et la difficile intégration des femmes.

Je n’ai qu’une seule critique : le contexte global de l’histoire de la charité à Québec aurait pu être plus détaillé. Le lecteur a souvent l’impression que la Saint-Vincent de Paul agissait seule. Comme plusieurs journalistes, Lemoine est sujet à l’exagération, affirmant que la Saint-Vincent de Paul était « le seul filet social face à la misère et la pauvreté » (60) ou avait « le monopole de l’assistance et de la charité dans la ville de Québec jusqu’à la Seconde Guerre mondiale » (198). Bien que la Saint-Vincent de Paul était un maillon incontournable à une certaine époque, elle n’était ni le seul, ni le premier organisme charitable. Les sociétés nationales, les sociétés de secours mutuel, les associations de travailleurs, la Société d’éducation de Québec et les nombreuses œuvres charitables protestantes se sont tous attaquées à la pauvreté au XIXe siècle, mais le livre n’aborde pas leur contribution. Lemoine parle un peu des ordres religieux catholiques tels les Sœurs grises et Frères des écoles chrétiennes, mais se permet quand même de conclure que la Saint Vincent de Paul avait un monopole sur la charité.

Cela dit, ayant lu plusieurs ouvrages soporifiques sur les ordres religieux du Québec, j’ose affirmer que l’ouvrage de Lemoine est l’un des rares exemples dans le genre qui est à la fois riche en contenu et captivant à lire.

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