Montréal au fil du temps

Des milliers de morceaux qui forment sa courtepointe historique.

par Mathieu Drouin

Mis en ligne le 9 mai 2017

Montréal est un mélange d’heureuses contradictions. Théâtre de guerres et de déchirements, la métropole est aussi un lieu d’accords de paix. Elle est française, britannique, amérindienne, résolument néocanadienne et tout cela à la fois. En Montréal aux traditions tenaces réside une force centripète qui attire par sa lumière la nouveauté. Elle est tout autant centrifuge, en tant que lieu de départ de populations courageuses et d’innovations de toutes sortes. Des milliers de morceaux qui forment sa courtepointe historique. En voici quelques-uns :

Il y a environ 4 000 ans

Présence amérindienne

L’Île de Montréal a été colonisée bien avant l’arrivée des Européens. À la fi n de l’Archaïque laurentien ou au début du Sylvicole inférieur, les ancêtres de beaucoup d’Autochtones du Québec s’adonnaient déjà à l’agriculture, à la chasse et à la cueillette sur les rives du fleuve Saint-Laurent. Des anciens outils en pierre découverts à Montréal dateraient d’il y a environ 4 000 ans.

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3 octobre 1535

Jacques Cartier visite Hochelaga

L’explorateur et cartographe malouin Jacques Cartier et une troupe d’une vingtaine d’hommes partent des rives du fleuve en direction d’Hochelaga, village fortifié iroquoien. La bourgade entourée de champs de maïs est construite sur une colline, tout près d’une montagne que Cartier nommera mons realis (mont royal en latin).

Selon les estimations du navigateur, Hochelaga abritait plus d’un millier de personnes. Après des échanges généralement cordiaux, le navigateur repart en direction de Stadaconé (qui deviendra plus tard le site de la ville de Québec). Au printemps 1536, il emmène de force le chef Donnacona ainsi que neuf autres Iroquois en France, où la majorité d’entre eux meure. Les nouvelles des richesses en fourrures de la Nouvelle-France se répandent rapidement sur le vieux continent.

17 Mai 1642

Paul Chomedey de Maisonneuve et Jeanne Mance fondent Ville-Marie

Après Québec en 1608 et Trois-Rivières en 1634, une nouvelle fondation encore plus à l’ouest était désirée par l’administration française. Pour ce faire, la Société de Notre-Dame de Montréal est mise sur pied en 1639. Paul Chomedey de Maisonneuve, jeune noble ambitieux et désireux d’être missionnaire, et Jeanne Mance, infirmière aux multiples talents, furent choisis pour mener la mission à bien.

Partis de La Rochelle en mai 1641, l’équipage atteint Québec à l’automne, et hiverne à Sillery. À la fonte des glaces du fleuve Saint-Laurent, les fondateurs se remettent en route, et arrivent tout près de l’emplacement d’Hochelaga le 17 mai 1642. Ils dédient leur nouvelle fondation à la Sainte Vierge en nommant le nouvel établissement Ville-Marie, nom qui, en pratique, sera remplacé par Montréal quelques décennies plus tard.

Montréal, situé plus près des grandes routes du commerce amérindien, devient rapidement la plaque tournante du commerce des fourrures sous le roi de France. Son emplacement avantageux aux limites de la Huronie en fait le lieu de départ indiqué pour plusieurs missions d’évangélisation.

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1701

La Grande Paix est signée à par la France et une trentaine de nations amérindiennes

Au 17e siècle, Montréal est devenue un centre de commerce de fourrures. Une foire annuelle des fourrures y est tenue chaque été. En même temps, des conflits étaient en cours entre diverses nations amérindiennes pour le contrôle des ressources naturelles. Avant la fin du siècle, les tentatives de restaurer la paix, que ce soit par une domination militaire ou par un traité pacifique, avaient échoué. Des relations économiques, politiques et militaires complexes entre toutes les nations amérindiennes et leurs alliées européennes faisaient achopper les négociations. Une approche plus globale était nécessaire.

Une première entente est signée en 1700 par les Cinq-Nations iroquoises (alliées avec les Britanniques) et la France, nations ennemies durant tout le 17e siècle. Ce nouveau levier de négociation donne la légitimitéFranceFrance de convoquer les nations des Grands Lacs pour l’été 1701. À peu près 1 300 délégués représentant 30 nations amérindiennes arrivent. Après d’âpres discussions, toutes les parties présentes ont adhéré à la Grande Paix de Montréal.

Ce traité diplomatique majeur unique (illustré ci-dessus avec des signatures représentant des clans ou des totems individuels) a permis la réouverture du commerce à grande échelle, et a servi de base pour des négociations ultérieures. La Grande Paix de Montréal est une entente toujours respectée par plusieurs nations amérindiennes.

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8 septembre 1760

Montréal capitule devant l'armée britannique

Après une victoire britannique décisive sur les Plaines d’Abraham et la prise de Québec, les troupes britanniques se rassemblent sous Jeffrey Amherst et marchent vers Montréal. Après quelques heures de négociation, Montréal se rend, mais à plusieurs conditions qui vont façonner la cohabitation des peuples en Amérique du Nord britannique. D’abord, les lois civiles respecteront la Coutume de Paris, les propriétaires et marchands pourront conserver leurs biens, et la pratique du catholicisme sera garantie. Ensuite, les alliés amérindiens des Français pourront conserver leurs possessions. Enfin, les archives françaises seront protégées — un coup de chance pour les historiens contemporains.

Le régime britannique s’amorce officiellement en 1763 après la signature du traité de Paris. Cependant, les guerres ont dévasté la colonie, maintenant en ruines. Les institutions britanniques sont misent en place à fur et à mesure que le pays se transforme en colonie britannique.

Portrait of Guy Carleton

1775

Montréal est brèvement occupée par les américains

En 1775, la grogne secoue les Treize Colonies, et des rebelles fomentent une révolte en réaction aux problèmes fiscaux sous l’administrationcoloniale. Ce mécontentement est exacerbé par l’Acte de Québec qui attire l’ire des Anglos-protestants anticatholiques. D’une part, l’Acte réaffi rme la protection des cultures française et catholique en Amérique et, d’autre part, offre aux marchands de Montréal un avantage significatif sur les ressources en fourrure.

Les doléances révolutionnaires trouvent écho également au Québec, et principalement à Montréal, où apparaît un mouvement proaméricain.

Les troupes américaines menées par Richard Montgomery avancent en territoire canadien. Elles capturent le fort Saint-Jean et Montréal, abandonnée par Guy Carleton. La ville reste aux mains rebelles du 28 novembre 1775 jusqu’au 9 mai 1776, alors que l’échec du siège de Québec force les troupes révolutionnaires à se replier vers New York. Malgré l’insuccès de l’invasion du Canada, la victoire globale revient aux rebelles, et un nouveau pays naît, au sud. Le traité de Paris de 1783 scelle le tout.

À partir de 1775, près de 80 000 citoyens fi dèles à la couronne britannique immigrent au Canada. Peu iront directement à Montréal, mais, en tant que pôle économique de plus en plus important, la métropole attirera de nombreux loyalistes.

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1783

Montréal en manteau de fourrure

La Révolution américaine et le nouveau tracé des frontières modifient profondément le commerce des fourrures. L’impossibilité de continuer à exploiter les ressources du sud des Grands Lacs force les marchands itinérants, bien financés par les nouveaux immigrants britanniques au Québec, à aller plus au nord, vers la baie d’Hudson.

La Compagnie de baie d’Hudson (CBH) détenait déjà des postes de traite au Nord, mais les nouveaux venus réussissent mieux dans leur commerce. Cela pousse la CBH à aller fonder d’autres postes de traite dans les terres. En 1783, la nouvelle Compagnie du NordOuest (CNO) est fondée à Montréal, et entame une rivalité féroce avec la CBH. Après des affrontements armés entre les deux compagnies, le gouvernement les force à fusionner.

La concurrence des sociétés américaines encourage la nouvelle fusion à explorer et ouvrir des postes de traite de plus en plus à l’ouest au cours du 19e siècle. À mesure que le commerce des fourrures décline, la colonisation devient de plus en plus importante, Ceci mène au développement du chemin de fer. Montréal deviendra alors un centre ferroviaire d’importance.

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1825

Inauguration du Canal de Lachine

Depuis le début de l’exploration européenne du fleuve Saint-Laurent, un obstacle majeur empêche les navires d’atteindre les Grands Lacs : les rapides de Lachine. Ils représentent un frein pour le transport des marchandises, et au développement des villes en amont.

Après que le projet d’un canal ait été repoussé aux 17e et 18e siècles, les travaux débutent enfi n en 1821. Quatre ans plus tard, le canal est inauguré. Le canal Érié, plus au sud, est cependant déjà opérationnel, et Montréal ne pourra pas rivaliser avec New York.

Le trafic océanique s’arrêtant auparavant à Québec peut toutefois continuer, surtout après le dragage du fl euve de 1854, et s’arrêter à Montréal. De fortes industries du bois, du fer et du blé se développent autour du canal, et la métropole en profite pour s’ériger en centre industriel de premier plan au Canada.

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25 Avril 1849

Incendie du Parlement de Montréal

En 1837 et 1838, après des années de tensions entre la minorité anglo-protestante du Bas-Canada et sa majorité franco-catholique, des Canadiens-français se soulèvent en réaction du refus de la Couronne britannique de donner le gouvernement responsable au Bas-Canada. Peu après, une brève révolte se tient en Haut-Canada (l’Ontario actuel) contre le règne d’une oligarchie privilégiée. Les rébellions sont durement réprimées, et les deux provinces du Canada sont réunies sous le nom de Canada-Uni. Montréal devient sa capitale.

Les affrontements armés et les répressions ont causé de lourds dégâts. Pour dédommager les habitants du Canada anglais, plusieurs lois sont votées au Parlement de Montréal. Des lois semblables sont ensuite adoptées pour compenser les Canadiens-français. Cela cause l’ire de plusieurs citoyens britanniques, qui considèrent les paiements comme des récompenses pour la déloyauté.

Lorsque la loi est approuvée par le Gouverneur général Lord Elgin le 25 avril 1849, la colère explose en violences. Des Britanniques mécontents agressent le gouverneur et des émeutiers se regroupent au Champ-de-Mars. Ils s’introduisent dans le Parlement et le détruisent par le feu. En raison de l’incendie, la capitale est déplacée à Toronto, puis, en 1857, à Ottawa.

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1856

Montréal, capitale du chemin de fer

Au milieu du 19e siècle, Montréal s’élevait déjà comme pôle économique du Canada. Le transport des marchandises avait été facilité par le canal de Lachine et l’implantation du chemin de fer dans la métropole renforça encore sa position dominante.

En 1856 est inauguré un audacieux projet de chemin de fer entre Montréal et Toronto : le Grand Tronc. Grâce à plusieurs acquisitions, la compagnie exploite des lignes entre Portland, au Maine, et Sarnia, en Ontario. À Montréal, d’autres compagnies ferroviaires la rejoignent un peu plus tard : le Canadien Pacifique et le Canadien National.

La combinaison du chemin de fer et d’une voie navigable fait de Montréal un lieu incontournable d’échanges commerciaux, mais aussi le lieu de départ de nombreux colons allant s’établir dans les nouvelles provinces de l’Ouest canadien.

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1900

Montréal, cnetre bancaire canadien

Grâce aux possibilités offertes par les chemins de fer et le canal de Lachine, différentes industries et manufactures s’installent à Montréal. Entre 1890 et 1910, la population de la ville triple. Suivant l’afflux de capitaux, des banques prennent racine dans la métropole.

La Banque de Montréal, la Bank of British North America, la Merchants Bank of Canada, la Banque Molson, la Banque Royale du Canada, la Banque Provinciale du Canada, et la Banque Laurentienne ouvrent des bureaux à Montréal. La plupart de ces institutions sont situées dans les vieux quartiers, et plusieurs sur la rue Saint-Jacques (illustrée ci-dessous).

Une compétition féroce s’amorce alors avec Toronto pour attirer des capitaux, et investir dans des projets de plus en plus ambitieux et risqués.

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29 octobre 1929

Montréal et la grande dépression

La Bourse de New York s’effondre. La Bourse de Montréal, alors la plus importante au Canada, ne peut résister à la débandade : certains titres perdent jusqu’à 40 %25 de leur valeur. Les gens les plus touchés sont les petits épargnants qui allaient même jusqu’à acheter des actions à crédit avant la crise.

Les années qui suivent sont difficiles pour beaucoup de Montréalais. Forte de son industrie manufacturière et de ses ports dans les années 1920, la métropole souffre du ralentissement de la production et de l’exportation, et voit son taux de chômage grimper en flèche dès 1929. Durant l’hiver 1932-1933, près d’un quart des citoyens de Montréal survivent grâce à l’aide gouvernementale ou aux œuvres de charité.

Comme remède au chômage urbain, la province met sur pied un programme de retour à la terre. De nombreux Montréalais vont coloniser des régions éloignées telle l’Abitibi-Témiscamingue.

Les industries de Montréal sortent de la crise avec la Deuxième Guerre mondiale, car la métropole est un grand centre de production de munitions et d’autres biens de guerre.

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17 mars 1955

Émeute Maurice Richard

Durant les années 1940 et 1950, Maurice Richard, ailier droit du Canadien de Montréal, est non seulement vu comme une vedette du sport, mais encore comme le modèle de tous les Canadiens-français. Le 15 mars 1955, au cours d’une partie contre les Bruins à Boston, Richard est retenu par un juge de ligne durant une bagarre alors qu’Hal Laycoe, de l’équipe adverse, le frappe sans retenue. L’ailier montréalais se dégage et frappe l’officiel.

Maurice Richard est suspendu pour le reste de la saison et des séries, éliminant virtuellement toute chance pour le Canadien de remporter la Coupe Stanley. Vue comme un affront contre l’équipe des Canadiens-français, cette suspension soulève l’ire des partisans et une émeute éclate à l’extérieur de l’aréna. Cette manifestation est vue par plusieurs comme un événement annonçant la Révolution tranquille.

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les années 1960 et 1970

Révolution tranquille, Expo-67 er les jeux Olympiques de 1976

La Révolution tranquille, nom donné à un ensemble de changements sociaux, politiques, religieux et économiques au Québec durant les années 1960, a un grand impact sur Montréal. La métropole se modernise, et redevient un haut lieu d’innovation et d’avant-gardisme dans le monde.

En 1967, l’année du centenaire du Canada, Montréal est l’hôte de l’Exposition universelle. Montréal montre au monde son savoir-faire en matière d’architecture, d’aménagement urbain et de technologie. En tout, plus de 50 millions de personnes visitent l’Expo 67, deux fois plus que la population canadienne de l’époque.

Neuf ans plus tard, Montréal est l’hôte des Jeux olympiques, la seule municipalité canadienne à avoir accueilli les jeux d’été.

Cet article est paru dans le numéro avril-mai 2017 du magazine Canada’s History.

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