L’histoire du Canada comme vous ne l’avez jamais vue!
Ce qu'on ne voit pas
The Pas (Manitoba) 2012
La mère de Liam marmonnait des choses incompréhensibles. Chaque fois qu’elle agitait son pouce, les images sur son téléphone montaient vers le haut et disparaissaient.
– Attends! C’est pas possible! C’est juste... Comme si! Oooh – j’aimerais seulement...
Liam jeta un regard désolé à son ami Oliver, de l’autre côté du jeu d’échecs. Après un moment, il en eut assez.
– Tu sais qu’on peut t’entendre, hein? Sa mère leva les yeux, étonnée. Elle enfonça son téléphone dans sa poche arrière, les joues toutes roses.
– Je vais faire du thé. En voulez-vous?
– Tu nous dis toujours qu’on doit passer moins de temps à regarder nos écrans, dit Liam en souriant. Sa mère haussa les épaules, gênée.
– Je sais. C’est juste que... parfois, quand je vois les images que mes amis mettent en ligne, je trouve ça... bizarre. Ils me disent qu’ils s’inquiètent pour leur argent, mais sur les médias sociaux, ils parlent toujours de leurs beaux voyages et de leurs nouvelles autos. Elle ne prêtait plus vraiment attention aux garçons.
– Je veux dire... Certains d’entre eux... Je sais combien ils sont malheureux, mais ils affichent des photos où tout le monde sourit, et je ne sais plus quoi penser.
Oliver hocha la tête.
– Je sais ce que vous voulez dire. Ma nôhkom a dû aller au pensionnat. Elle dit toujours qu’il ne faut pas croire les photos.
– Je ne savais pas que ta grand-mère était allée à Guy Hill, dit la mère de Liam d’un air soudain sérieux.
– Elle dit que les enfants qu’on voit sur les photos auraient été battus s’ils n’avaient pas eu l’air heureux devant le photographe. On a une seule photo d’elle quand elle était petite fille. Ses cheveux et sa robe ressemblent à ceux des autres filles. Elle dit qu’en fait, elle était vraiment triste et s’ennuyait de chez elle, mais sur la photo, elle sourit.
– Du moins, sa bouche sourit, ajouta Oliver avec une petite moue. Mais pas ses yeux.
Maintenant qu’il avait commencé à parler, il eut envie de continuer.
– Mes oncles jouaient au hockey avec l’équipe de l’école. On a une très belle photo d’eux, avec des chandails rouges et blancs avant un match. Ils disent que c’était la seule bonne chose dans leur vie là-bas. Le hockey les aidait à oublier à quel point ils étaient malheureux. Le père de Liam entra juste à ce moment-là, avec un grand livre à la main.
– Qui est-ce qui gagne? Sans attendre la réponse, il ajouta :
– Est-ce que je vous ai déjà dit que j’avais participé aux championnats provinciaux d’échecs quand j’avais 12 ans?
– À peu près un million de fois! dit Liam d’un air taquin, mais son père était perdu dans ses souvenirs.
– Je suis arrivé deuxième dans mon groupe d’âge. J’ai battu un gars de Winnipeg qui pensait que j’étais juste un tata venu du Nord. J’étais super content.
Mais ça ne paraît pas sur la photo qui a été publiée dans le journal, ajouta-t-il en se versant une tasse de thé. On dirait que j’ai envie de pleurer. Tout le monde a pensé que j’étais triste parce que je n’avais pas gagné. Mais en fait...
Il s’interrompit un instant pour faire son effet en regardant les garçons.
– Il fallait vraiment que j’aille à la toilette! Liam regarda son père d’un air fâché, mais Oliver éclata de rire.
– Je suppose que les photos ne disent jamais ce qui se passe vraiment, dit Liam pour essayer de changer de sujet. Ce qu’on ne peut pas voir.
– Vous savez ce que je viens d’apprendre? demanda son père en brandissant son livre. Au début de la Première Guerre mondiale, des photographes avaient besoin de bonnes photos des combats, mais ils n’arrivaient pas à en trouver. Alors, ils ont pris des photos de soldats à l’entraînement, ils y ont peut-être ajouté quelques petites choses et ils ont recadré les photos pour qu’on ne voie pas que les soldats n’étaient pas du tout sur un champ de bataille. Ils n’ont pas fait ça pour tromper les gens – ils ont finalement vécu les combats pour vrai.
– Quand on parle de photos mémorables...
La mère de Liam prit un gros livre sur une étagère. Curieux, les garçons s’approchèrent d’elle pour regarder les grandes pages remplies de photos. Le père de Liam leur souriait, en version beaucoup plus jeune. Ses cheveux bouclés et échevelés lui descendaient presque aux épaules, et il était debout devant une auto rouge vif.
– Tu refusais toujours de te faire couper les cheveux, dit-elle en souriant.
– Je voulais devenir une rock star! dit le père de Liam en prenant un air offensé.
– Je trouve que tu as l’air super, papa! dit Liam.
– Et cette auto-là est tellement cool! ajouta Oliver.
– Pas tout à fait, répliqua la mère de Liam avec un petit sourire. Elle est tombée en panne juste après cette photo.
Ça nous a coûté une fortune pour la faire réparer, et elle nous a lâchés complètement un mois plus tard. Elle tourna la page. Son visage se figea en voyant une photo d’une femme et de deux enfants vêtus du même chandail, qui souriaient à pleines dents. – C’est toi et oncle Al? demanda Liam. Sa mère ne parut pas l’entendre tout de suite.
– Il traversait une période difficile. Il se faisait intimider à l’école, mais grandmaman ne le savait pas, et il ne voulait pas que j’en parle. J’aurais bien aimé l’aider.
Le père de Liam passa un bras autour des épaules de sa femme.
– On devrait aller leur rendre visite, à lui et à Paul, un de ces jours. Ça fait une éternité qu’on est allés à Montréal. Elle sourit et tourna la page.
– Oh, celle-ci est très jolie!
– Maman! Non! s’écria Liam.
Sur l’image que tout le monde pouvait voir, un bébé qui lui ressemblait beaucoup était assis dans une baignoire, entouré de bulles de savon.
Comme le bon ami qu’il était, Oliver fit semblant de se concentrer sur l’échiquier.
– Prépare-toi pour une photo où tu auras vraiment l’air triste, dit-il, parce que je vais gagner bientôt.
On ne sait jamais vraiment à quoi pensent les gens qu’on voit sur les photos, ni ce qu’ils ressentent.
Par exemple, beaucoup de photos des pensionnats autochtones montrent des jeunes des Premières Nations, des Métis ou des Inuits en train de jouer avec un grand sourire. Mais il est important de se rappeler qu’ils étaient loin de leur famille, qu’ils vivaient dans des bâtiments dont ils n’avaient pas l’habitude et qu’ils mangeaient de la nourriture étrange pour eux. Ils devaient être très forts pour passer au travers. Le pensionnat de Guy Hill a vraiment existé, et les jeunes pouvaient en effet y jouer au hockey.
Et, oui, il y a des trucages bien connus parmi les photos de la Première Guerre mondiale, mais il y en a beaucoup plus sur lesquelles les photographes ont capté les horreurs trop réelles des combats. Si ta famille possède des albums de photos, demande à une personne plus âgée de te raconter les histoires qui se cachent derrière ce que tu vois sur les images.
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