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Après 1918 : Du chaos à Mackenzie King!
Les choses ne seront plus jamais les mêmes, dit-on souvent après de grands événements marquants, comme des attaques terroristes, des dépressions ou des batailles. On prononça les mêmes mots en 1915, comme en fait foi ce message du premier ministre de l’époque, Robert Borden, « cette guerre est le suicide de la civilisation ».
Dans le sillage de la Première Guerre mondiale, de nombreux Canadiens crurent qu’un grand pan de la civilisation telle qu’elle était avant la guerre avait disparu à jamais. Au début de l’année 1919, plus de 60 000 jeunes Canadiens dans la fleur de l’âge étaient demeurés sur les champs de bataille d’Europe, victimes d’un conflit qui fit des millions de morts. Le spectre de la révolution bolchevique, une menace réelle pour des dizaines de millions de Russes, commençait à hanter le monde. La Conférence de Paris semblait créer davantage de problèmes qu’elle n’en réglait.
Le sentiment d’indépendance du Dominion du Canada, né pendant la guerre, était miné par les dissensions acrimonieuses entre anglophones et francophones concernant le recrutement et par une profonde incertitude quant à l’avenir de l’Empire britannique, affaibli par le conflit.
De Halifax à Vancouver, les citoyens vivaient un mélange de peine et de colère, tout en entretenant des attentes élevées. Les manifestations d’opportunisme sans vergogne alimentèrent les attaques contre les institutions politiques et sociales traditionnelles. Le système politique canadien avait été mis à mal par les débats entourant la conscription et l’élection difficile de 1917. Des mouvements d’agriculteurs frustrés firent leur entrée sur la scène politique dans le but de transformer le système.
Des travailleurs mécontents tentaient de prendre le contrôle de l’économie en menant des interventions directes, dont le point culminant fut la grève générale de mai-juin 1919 qui fit presque basculer la ville de Winnipeg dans une violente lutte des classes. Le coût de la vie continuait de grimper en flèche, ayant presque doublé depuis 1915, menaçant ainsi la sécurité de la classe moyenne. Les anciens combattants étaient mécontents, le monde des affaires désorienté.
Les deux tiers du réseau de chemin de fer étaient en faillite et durent être nationalisés. Les réformateurs proposaient la création de services sociaux, tels que les pensions et l’assurance maladie, et le principe d’État providence. Les travailleurs de la santé publique combattaient de leur côté une terrible épidémie d’influenza et parlaient ouvertement des périls des maladies vénériennes.
Dans son ensemble, 1919 fut une année désastreuse, rien ne semblait plus le même.
Contrairement à ce que soutiennent certains historiens, les bouleversements sociaux d’après-guerre se sont rapidement essoufflés et eurent relativement peu d’effets durables. Même si les Progressistes issus du milieu agricole remportèrent 65 sièges lors de l’élection générale de 1921 et dirigèrent plusieurs provinces, ce mouvement de protestation ne donna rien de concret et vers le milieu des années 1920, il était déjà moribond.
L’activité syndicale était en déclin, tout comme l’inflation, dans la période difficile suivant immédiatement l’année 1920. La grève générale de Winnipeg, qui fut un échec, renvoya brutalement le mouvement syndical dix ans en arrière. Les années 1920 ne seront pas le témoin des grands changements sociaux du Canada. Par exemple, les réformes de l’assurance-maladie et la semaine de travail de 42 heures ne feront leur apparition que pendant ou après la Seconde Guerre mondiale.
Il n’y aura pas non plus de grandes transformations politiques dans les années 1920; la guerre n’eut aucun effet sur la ligne de succession du parti Libéral. À partir de 1921, le pays sera gouverné par l’homme qui semblait l’héritier naturel de Sir Wilfrid Laurier, le très peu charismatique et antirévolutionnaire William Lyon Mackenzie King. Les femmes, qui obtiendront le droit de vote pendant la guerre, n’avaient pas encore de réel poids politique.
Les années 1920 grondèrent moins fort au Canada qu’aux États-Unis, principalement en raison de notre fardeau fiscal d’après-guerre plus lourd que chez nos voisins du sud. Vers 1925, la majeure partie des Canadiens jugeaient que le pays était retourné à une certaine normalité. Bon nombre d’entre eux tentèrent d’oublier la guerre, malgré les innombrables monuments commémoratifs érigés dans chaque ville et village du Canada en l’honneur des soldats.
Les grands clivages que le cataclysme de 1914–1918 contribua à approfondir affecteront le pays à long terme. La Grande Dépression des années 1930 ne fut qu’un réajustement aux bouleversements de l’économie mondiale causés par la guerre. On peut également avancer que la montée du fascisme et du nazisme européens est un produit de la « Der des ders ».
Dans cette optique, les années entre les deux guerres ne furent qu’une trêve agitée annonçant la seconde guerre, encore plus destructrice. En 1945, les Canadiens avaient encore perdu 40 000 soldats, un total de 100 000, dans ces grands conflits mondiaux du 20e siècle. La Seconde Guerre mondiale entraînera cependant de profonds changements sociaux, notamment l’introduction de l’État providence. Mais le pays était encore dirigé par Mackenzie King, peu enclin au changement!
La vitesse et la fréquence avec lesquelles sont survenus les changements historiques traduisent un phénomène complexe, continu et inégal, dont les effets ont souvent été exagérés. Dans l’ensemble, les Canadiens bénéficient d’institutions et d’un ordre social qui est toujours demeuré stable.
Une femme que j’ai connu est décédée cette année à l’âge de 99 ans. Elle a vécu toute sa vie dans l’une des Mariposas, « les petites villes du soleil ». Son seul souvenir de la Première Guerre est l’annonce de la mort de son frère Charles, membre des Royal Flying Corps, en 1918.
Au 21e siècle, elle continue de vivre ce deuil.
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